Sikkim

Le village du bonheur

Destination

March 28, 2016

/ By

Indes

mars-avril 2016



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Pas de répit pour la mère de famille, qui s’attelle tous les jours, dès 6h du matin, à la préparation de repas ; Les villageois vivent dans de charmantes petites maisonnettes de bois, qu’ils construisent eux-mêmes.

Pas de répit pour la mère de famille, qui s’attelle tous les jours, dès 6h du matin, à la préparation de repas ; Les villageois vivent dans de charmantes petites maisonnettes de bois, qu’ils construisent eux-mêmes.

Pas d’internet, pas de routes, des vêtements troués, pas de chauffage… Et pourtant, perchés sur une colline à 2 200 m d’altitude, les quelque 140 habitants de ce village du Sikkim, au nord-est de l’Inde, se revendiquent comme étant les plus heureux du monde. Ils ont accepté de livrer leurs secrets. Et, surprise, ce n’est pas si compliqué.

Vingt minutes de grimpe ardue à travers la forêt encore verdoyante de la dernière saison des pluies les séparent du reste du monde. En haut, un minuscule village où 140 âmes vivent en harmonie avec la nature, et les unes avec les autres. Demandez aux villageois quelle est leur saison préférée, ils répondront, amusés de l’incongruité de la question : « Toutes, bien sûr ! A-t-on le choix ? Elles reviennent chaque année. » Et c’est peut- être cela, aimer ce qui est, sans jugement, le secret de la sérénité des lieux. Un fatalisme heureux, en quelque sorte.

Ici, les villageois, qui appartiennent tous plus ou moins à la même famille, ont deux manières de gagner de l’argent. La première, à laquelle tous les habitants, sans exception, participent, est la culture de la cardamone, cette graine verte au goût sucré, qui sert, entre autres, à préparer le très célèbre chaï, thé au lait rehaussé d’épices. Le sommet de la colline est presque entièrement recouvert de champs de cette plante, haute comme un homme. A 2 000 roupies le kilo, la cardamone suffit à elle seule à nourrir tout le village. Planter, tailler, récolter, faire sécher et vendre… Il y a du travail, pour tout le monde, et toute l’année. Parfois, les touristes mettent la main à la pâte, en échange de précieuses graines, ou du logis gratuit. Et c’est justement eux, les touristes, qui apportent un supplément de revenus, bienvenu au village.

Mais les trois familles qui les accueillent préfèrent parler d’« invités ». En effet, ici, on ne parle pas d’hôtel, mais de pension, où les voyageurs séjournent, mangent et vivent avec la famille, aux horaires de la famille. D’ailleurs, un coup de main est aussi toujours le bienvenu pour aider à préparer les repas typiques et copieux, ou couper du bois. Chaque personne paie, selon la saison (et la tête du client), environ 400 roupies (4,30 euros) pour le logis et trois repas par jour. Entre deux saisons de cardamone, ce sont les voyageurs qui apportent l’argent liquide au village. Les trois familles qui hébergent achètent des légumes et des animaux aux voisins, c’est ainsi que circule l’argent. Ici, tout provient de la terre. « 100 % bio », comme aiment à le rappeler les villageois. Selon la période : mangues, citrons, pommes de terre, avocats, carottes, thé, tomates, fraises… Si on ajoute les poulets, porcs et vaches qui circulent en liberté entre les allées, le village fonctionne en quasi autonomie. Seuls quatre produits sont importés du marché mensuel du village voisin : le riz, le sel, le poivre et l’huile.

Echange culturel

Si le tourisme est une aubaine financière pour la communauté, Baichung 20 ans, le fils ainé d’une des familles qui accueillent, assure : « On ne reçoit pas pour l’argent, c’est plus un échange culturel. » Dichen, sa petite sœur de 3 ans, à l’instar de la trentaine d’enfants qui gambadent joyeusement dans le village, parle déjà un anglais très correct, contrairement à ses parents. Dans le Sikkim, on parle le népalais, le tibétain, un peu de hindi, plus le dialecte du village. Les enfants évoluent en permanence avec les touristes qui viennent du monde entier, c’est une opportunité pour leur apprentissage de l’anglais. Mais la langue n’est pas la seule victuaille que les étrangers ont apportée dans leurs bagages. « Avant, poursuit Baichung, on ne voyait pas l’intérêt de ramasser nos déchets, si les sentiers étaient jonchés de poubelles, on ne voyait pas où était le problème. Les invités nous ont aussi appris à être plus propres. » Et à la vue des chemins impeccables qui entourent les chalets de bois proprets, on ne peut que constater que ce village fait figure d’exception en Inde. Ne serait-ce que par la présence de… poubelles ! Une fois par mois, tous les habitants se réunissent pour ramasser le moindre papier. Ils ratissent tous les recoins et, en guise de récompense ils tuent un animal, qu’ils partagent autour d’un grand feu de bois.

Ici, la communauté est une notion importante. « On a une vie simple et heureuse. Personne n’est riche, mais personne n’est pauvre », explique Baichung. Si l’un d’entre eux tombe malade, et que sa famille n’a pas les moyens de l’envoyer à l’hôpital, on fait le tour du village, pour récolter 200 roupies (2,60 euros) par foyer, et ainsi recueillir la somme nécessaire aux frais médicaux. On échange le fruit des récoltes, les services, les vêtements… Quand une route est endommagée par les intempéries, tous les hommes s’attèlent à sa réparation, tandis que les femmes se chargent de préparer les repas, et de les leur apporter. Cinq ans plus tôt, le gouvernement indien leur avait d’ailleurs proposé de construire une route qui mène au village, à la place de l’étroit chemin boueux, pentu et tortueux dont ils disposent. Proposition que la communauté a refusée en bloc. « On ne veut pas de voitures ici ! On ne veut pas que plus de gens viennent vivre ici. Ça va détruire la nature ! On aime notre endroit petit, et sauvage. Les vingt minutes de marche dans la montagne aident à préserver notre culture. »

 

Le temple (en bas à droite) est le centre du village où se perpétue une vie traditionnelle

Le temple (en bas à droite) est le centre du village où se perpétue une vie traditionnelle

Et leur culture, justement, est un mélange étonnant de tradition et de modernité. Le village est bouddhiste. Un enfant par foyer, indifféremment fille ou garçon, doit se faire moine pour une durée minimum de deux ans. Le terrain appartenant au monastère, c’est la condition pour vivre ici. Les enfants y séjournent souvent entre 8 et 10 ans, juste avant d’entrer au collège. « C’est une école normale, où l’on apprend la patience, la méditation, à être poli. C’est très philosophique, raconte Baichung, qui a lui-même été moine pendant deux ans. On peut y rester plus, si on le souhaite, mais la plupart partent après les deux années, parce que l’enseignement est uniquement en tibétain, et les jeunes veulent apprendre l’anglais. »

De 4 à 10 ans, les enfants vont à la petite école du monastère, dans le village. Puis, il est temps pour eux d’aller au collège, à environ une heure de marche de leur maison. La plupart d’entre eux vont jusqu’à l’équivalent du baccalauréat. Pour les études supérieures, ils devront se rendre dans une grande ville, en dehors du Sikkim, Calcutta ou New Delhi la plupart du temps.

Egalité hommes-femmes

Encore une fois, pour ce qui est de l’égalité hommes-femmes, le petit village est plutôt en avance sur le reste du pays. Dixit Baichung, « Les hommes et les femmes ont exactement le même pouvoir. » Il faut dire que les femmes font des métiers habituellement réservés aux hommes. Elles portent le bois, nourrissent le bétail, et construisent les maisons. « Les hommes cuisinent, aussi, parfois. Hommes et femmes font le même travail, il n’y a pas de raison qu’ils soient traités différemment ». Et il est vrai que certaines scènes, surréalistes dans n’importe quel autre village indien reculé, sont parfaitement normales ici. Comme ces femmes et hommes, de tous âges, célébrant joyeusement l’anniversaire de l’un des ainés du village, en buvant de l’alcool et fumant des cigarettes.

Cet homme, qui célébrait ses 87 ans ce soir là, se fait surnommer Pala, ce qui signifie « grand-père », en tibétain. Il n’est pas né au Sikkim, mais au Tibet. Parce qu’il était moine, il a eu le droit de ne pas devenir soldat. A la place, il est devenu le cuisinier du dalaï-lama. Quand les choses ont commencé à tourner mal au Tibet, il a fui, avec le dalaï-lama, à Dharamsala, en Inde. « Il buvait beaucoup de thé au beurre », aime à se rappeler ce vieux monsieur aux yeux malicieux, pleins de bienveillance. Son anglais est également très bon. « J’ai voyagé dans tous les pays bouddhistes du monde avec le dalaï-lama : en Thaïlande, au Sri Lanka, au Népal… » Aujourd’hui encore, il a gardé ses habitudes de jeune-homme. Tous les matins, il part dans la forêt ramasser du bois, avant de méditer au soleil, devant les sommets enneigés. Il cuisine encore seul, mais son secret de longévité, selon son petit fils Baichung, c’est un demi verre de Rakshy, un alcool local et bon marché, tous les matins, et tous les soirs. « Ça tient chaud et en forme ! Tout le monde vit très vieux ici, plus de 100 ans pour certains. On mange bien et on se dépense. » Pala a eu douze enfants. Il s’est marié trois fois, après le décès de chacune de ses femmes.

Au sein du village, encore, les règles sont plus souples, en matière de mariage. En gros, on se marie avec qui on veut, quand on veut, et on a même le droit de ne pas se marier du tout. La religion et la caste du prétendant n’entrent pas en ligne de compte. Certains habitants s’offrent même le luxe de divorcer. Après accord des vieux moines du village… tout de même !

Mais si la modernité, en partie apportée par le mode de pensée des Occidentaux en visite est de mise, quelques traditions très ancrées subsistent néanmoins. Par exemple, l’homme qui vient tous les jours vendre le bois à la famille de Baichung ne peut pas entrer dans la maison. Parce qu’il est d’une caste inférieure. Cet homme, surnommé « l’Homme de bois », pour sa carrure impressionnante, n’a jamais porté de chaussures, de toute sa vie. Il touche une rente de l’état pour sa participation à la protection de la nature. Quand il coupe un arbre, il en plante deux. Le reste du temps, il porte sur son dos ses fagots plus larges que lui, en marchant sur ses pieds devenus carrés, qu’il vente, pleuve, ou neige.

En fait, les chaussures ne sont apparues ici que quarante années auparavant. La cuisine se prépare toujours au feu de bois. Trois téléviseurs en tout et pour tout. L’électricité en pointillés, pas internet, et pas de perche à « selfie », non plus. La sobriété heureuse, en somme. Pierre Rabhi n’a qu’à bien se tenir !


 

Au Sikkim, Le village du bonheur

Au Sikkim, Le village du bonheur

Comment s’y rendre ?
 
L’aéroport le plus proche est à Bagdodra. En train, la station la plus proche est New Jalpaiguri (NJP). De là, des bus, taxis et taxis collectifs se rendent plusieurs fois par jour à Khecheopalri Lake. Ensuite, monter à pied à travers la forêt jusqu’au village durant une vingtaine de minutes.
 
Pratique
 
Un visa de tourisme pour l’Inde n’est pas suffisant pour entrer dans l’état du Sikkim. A chaque point d’entrée, des douaniers délivrent aux touristes un permis spécial permettant de séjourner au Sikkim pour une durée de quinze jours. Il est renouvelable pour une autre quinzaine. Ce permis est gratuit.

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