Sur les traces de l’ancienne

Route de la soie

Destination

December 2, 2014

/ By

Indes

Nov-Dec 2014



Rate this post

Sur les traces de l’ancienne

Mission : retracer la Route de la soie, perfide piste s’élançant en haute altitude, des contreforts de l’Himalaya au plateau tibétain en passant par le Sikkim, et principale route commerciale au Moyen-âge. Aujourd’hui, on peut parcourir le chemin de Kalimpong vers l’est du Sikkim, jusqu’à Jelep-La, le passage frontalier entre l’Inde et la Chine. Mais attention, pour cette aventure, il convient de se munir des permis spéciaux délivrés par les militaires indiens.

Les « Chemins de la soie », comme on les appelle, forment un vaste réseau de routes commerciales communiquant entre elles et reliant le continent asiatique à l’Europe et à l’Afrique. Sur près de 6 500 km, elles ont permis aux hommes de transporter leurs marchandises mais se sont également imposées comme des voies uniques pour répandre le savoir, les idées et les cultures à travers différentes parties du monde. Le commerce via ces chemins de la soie fut un facteur important en termes de développement et, à plusieurs niveaux, favorisa les fondements du monde moderne. Au fil des décennies, en raison de divers évènements sociaux et politiques, plusieurs routes commerciales dont le rôle fut décisif dans le développement des échanges internationaux à travers le globe, furent fermées ou perdirent leurs voyageurs. Autrefois animées, ces larges routes sont désormais délaissées, vides et mornes.

Parmi elles, on trouve la « Route de la soie », lourdement chargée d’Histoire. Dans l’Antiquité, elle fut la principale route commerciale reliant la Chine au reste du monde, en passant par le Bhoutan et l’Inde. Ce fut même le seul lien commercial entre l’Inde britannique et le Tibet au 18e siècle.

 

Un petit lac sur le chemin de Nathang

Un petit lac sur le chemin de Nathang

Cela faisait des années que nous avions envisagé d’entreprendre un safari en jeep le long de cette route, de Kalimpong jusqu’à l’entrée de Jelep-La. Le projet n’était pas de faire le voyage de bout en bout jusqu’à Lhasa mais jusqu’à la frontière entre l’Inde et la Chine. Le territoire fait officiellement partie de l’est du Sikkim et n’a été ouvert aux touristes que récemment. C’est à peu près à ce moment-là que nous avons rencontré un homme exceptionnel.

Le père de Gopal Pradhan, 49 ans, fu coursier de l’ancienne route de la soie. A l’époque, cela prenait plus d’une semaine pour grimper de Kalimpong jusqu’à Jelep-La, après une halte à Zuluk avant la dernière ligne droite. La plupart du temps, les céréales et le sucre étaient échangés contre le sel et les pommes de terre, parfois contre de l’or passé clandestinement. La soie brute faisait également partie des marchandises troquées, mais en moindre quantité. Grâce à l’armée aujourd’hui, les visiteurs peuvent facilement se rendre à Jelep-La en voiture ou descendre jusqu’au passage Nathu-La, le point d’entrée principal pour le commerce entre l’Inde et la Chine, situé à 4 300 mètres d’altitude, en direction de Gangtok, la capitale du Sikkim.

Installé dans la région depuis sa naissance, Gopal, le chef du village Zuluk, est ce que l’on pourrait appeler un touche-à-tout. Guide brillant, conducteur, majordome, hôte et entrepreneur dans l’âme du haut de son incroyable univers perché à 3 000 mètres d’altitude. Il passe prendre les touristes dans son véhicule douze places à Rongpo, le point d’entrée du Sikkim, et les aide à obtenir tous les permis nécessaires auprès de la police régionale et de l’armée aux différents points de contrôle érigés le long de la route.

Il aime à raconter les expériences de son père tout le long du chemin. Ce trajet permet sans aucun doute de découvrir les coins les plus beaux et les moins fréquentés de l’est du Sikkim. De petits hameaux tels que Ranglee, Rhenock, Padamchin, sont extrêmement accueillants. Les enfants y arborent un large sourire, les orchidées ont de superbes couleurs… mais il faut aussi compter avec les fusils ! La présence militaire est lourde dans cette région en raison de la proximité de la frontière chinoise.

Route stratégique

L’Inde a joué un rôle vital dans le commerce, par sa position stratégique au centre de la route, et par la spécificité de ses produits comme les épices, les objets faits main, les pierres précieuses. L’Inde était par ailleurs réputée pour être un centre intellectuel où convergeaient les savoirs, mais aussi le foyer abritant les écritures sacrées telles que celles du bouddhisme. Le long de ces artères principales, s’étirent d’autres routes plus anecdotiques, désormais oubliées. Pour autant, ces voies ont eu un impact appréciable en matière de développement.

 

La Vallée de Nathang, recouverte par la neige

La Vallée de Nathang, recouverte par la neige

Autre route importante, celle qui traverse les collines du Darjeeling et du Sikkim. Les passes, Jelep-La et Nathu-La, aujourd’hui insérées dans le Sikkim, étaient directement connectées à Lhasa au Tibet. Le passage de Nathu-La, situé sur la frontière indochinoise, était un point d’échanges important entre les marchands de soie du Sikkim et ceux du Tibet. Ce fut également par cette route que les Tibétains s’enfuirent du Tibet après l’invasion chinoise de 1950. Quelques années plus tard, une bataille féroce s’engagea entre les Indiens et les Chinois, signant la fermeture du passage. La passe de Nathu- La a récemment été citée dans l’actualité à l’occasion de la visite du président chinois en Inde. Aux termes de discussions, les deux pays ont accepté de la rouvrir la saison prochaine pour les pèlerinages de Kailash Mansarovar au départ d’Inde. La route, belle et tortueuse au milieu des collines, serpente entre Rhenock et Rongli avant de conduire au premier poste de contrôle à Lightham. C’est ici qu’il faut montrer les permis obtenus et se faire enregistrer, cette région étant d’accès limité. L’état de la route ontagneuse, jusqu’à Kupup, est excellent, défiant les artères des principales villes indiennes. En tant que route stratégique, elle est entretenue par l’armée selon un agenda rigoureux, comprenant notamment un nouvel enduit de bitume tous les trois ans. Vu le peu de trafic, la route reste dans une excellente condition. Padamchin est le dernier poste de contrôle où il faut présenter ses autorisations de séjour ou de passage. Il semblerait que tout être humain présent dans cette zone se doive de renouveler son permis tous les ans. La végétation change brutalement après Padamchin, et il en est de même pour les températures. Les collines arides émergent des nuages gigantesques qui couvrent le chemin ici et là.

La « demeure des nuages »

Zuluk est perché à quelque 3 000 mètres sur une pente encerclée par des montagnes escarpées. Pour avoir une vue dégagée sur le massif du Kangchenjunga, il faut encore monter sur plusieurs kilomètres, mais l’on ne trouve alors plus où se loger. Le hameau de Zuluk est surnommé à juste titre la « demeure des nuages ». La garnison stationnée dans ses environs est elle-même appelée celle des « combattants des nuages ». Sur la route qui mène à Zuluk, Gopal raconte à quel point, avant l’indépendance, les soldats anglais présents pour la construction des routes étaient physiquement forts et survivaient à base d’un régime alimentaire constitué de poulets entiers et d’une bouteille de rhum. Avec son entrain inégalable et un talent certain d’entrepreneur, il fait du séjour dans sa demeure, située en haut des montagnes, une expérience unique pour tout voyageur. Son épouse cuisine des plats somptueux tandis que sa fille fait en sorte de mettre l’hôte à l’aise lors de son séjour. Il n’y a ni hôtel ni chambre d’hôtes à Zuluk, et le village n’a pas changé depuis l’époque où les caravanes et leurs convois de yaks avaient l’habitude d’y faire halte pour la nuit, prenant bien soin d’arriver avant le coucher du soleil. Le confort est rudimentaire, avec des systèmes ingénieux de chauffage dans les chambres. Le village se compose de neuf familles et la plupart des hommes travaillent pour l’armée installée dans le camp de transit situé à quelques 300 mètres au-dessus de Zuluk. Une nuit à Zuluk est obligatoire pour se familiariser avec l’altitude, avant d’entamer une ascension escarpée vers les sommets.

 

Sorte de grange sur la route menant au lac Kupup; Stalactites sur les bords de la route; Le soleil se lève sur le Bhoutan

Sorte de grange sur la route menant au lac Kupup; Stalactites sur les bords de la route; Le soleil se lève sur le Bhoutan

Blottis dans la jeep, nous délaissons Zuluk dans l’obscurité fraîche et embuée du lendemain matin, à 5 heures. Gopal, installé au volant comme à son habitude, enfonce les pédales et pousse le véhicule sur les pentes tortueuses jusqu’à un endroit stratégique afin d’assister au lever du soleil. Zuluk est couverte d’une épaisse couche de neige depuis quelques jours et plus nous prenons de la hauteur et plus elle se densifie sur les bords de la route. Entièrement dans les tons verts et jaunes pendant la mousson, la région offre des palettes de bruns et de rouges durant l’hiver. Au détour d’un virage abrupt, nous observons le ciel qui est en train de virer d’un violet profond à des teintes rosées.

Silence glacial

Une quinzaine de minutes plus tard, alors que les températures restent glaciales audehors et qu’au loin Zuluk n’est plus qu’une version miniature d’elle-même, le soleil avec sa face orangée surgit enfin des sommets du Bhoutan. Vision époustouflante avec un effet panoramique à 360 degrés, la route s’est, le temps d’un instant, nimbée d’un lueur dorée et soyeuse. Juste en face du soleil, le massif du Kangchenjunga, désormais visible presque dans toute sa hauteur, change dramatiquement de couleur d’une minute à l’autre.

Combien existe-t-il au monde de levers de soleil en altitude aussi spectaculaires ? Le silence glacial fut brisé par l’appel de Gopal invitant l’équipe à déguster un café bien chaud. Exactement ce dont nous avions besoin! Nous avons continué notre ascension le long de la route sinueuse. Passé le point de vue de Thambi et le village de Lungthang, nous avons repéré un couple de monals, une espèce locale d’oiseau, proche du paon. Nous progressions difficilement en direction de la vallée de Nathang, lorsque Gopal pointa du doigt un endroit où, selon la légende, une femme affirma avoir repéré un Yéti quelques années plus tôt. Mais notre plus grande surprise fut de découvrir des empreintes d’ours le long de la route.

Des traces imposantes et d’autres, plus petites, d’ourson. Nous étions le premier engin à passer après la chute des neiges et le chemin était marqué par ces empreintes sur plusieurs kilomètres. Les ours avaient dû parcourir la route de nuit. Kupup est à environ 35 km de Zuluk, à plus de 4 000 mètres d’altitude. Vu d’en haut, le lac a la forme d’un éléphant. C’est pour cela que celui-ci porte le nom de Lac de l’Eléphant. Gelé la plupart de l’année, ses eaux sont utilisées par le Bhoutan depuis la nuit des temps. Le lac est aussi l’endroit habituel où les grues chinoises à bec rouge viennent faire leur nid. Un peu plus loin, on aperçoit le col de Jelep-La. Des deux côtés du col, on ne peut pas rater les bunkers chinois et indiens.

La montée est escarpée mais en haut, la vue est sublime. Kupup et ses environs, les chemins tortueux menant à Jelep-La et le Lac de l’Eléphant constituaient un panorama grandiose qui devait également émerveiller les marchands de l’ancienne route de la soie. Juste un peu plus loin, se trouve une autre de ces curiosités créées par l’homme : le plus haut terrain de golf du monde installé et entretenu par la garnison de Kupup. Pour tous ceux qui souhaitent faire l’expérience de l’Himalaya de l’Est dans toute sa pureté, dépouillés de tout type de confort matériel, cette route est à tenter absolument. Les lieux sont peu pollués par le tourisme commercial, ils restent authentiques et le resteront sûrement longtemps encore.

Comment s’y rendre
• Par avion/train/voiture jusqu’à Siliguri/Bagdogra/New Jalpiguri
• Grâce à des véhicules certifiés par le gouvernement et réservés à l’avance, disponibles à l’aéroport et les gares ferroviaires
• Rendez-vous à Rongpo (3 heures)
• De Rongpo à Zuluk, il faut compter 2h30
• Plus loin, le séjour, l’alimentation et le voyage sont entièrement pris en charge par Gopal Pradhan.

YOU MAY ALSO LIKE

0 COMMENTS

    Leave a Reply

    Your email address will not be published. Required fields are marked *