Le boom économique autour des enfants en Inde

Profits et défis d’un marché encore jeune

Dossier

September 17, 2016

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Indes

septembre-octobre 2016



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Des enfants défilent à la Kids Fashion Week 2015, à New Delhi

Le marché lié aux enfants et à leurs multiples besoins, qui concerne près de 30% de la population indienne, est en plein développement et plus que prometteur. Il doit cependant résoudre des problèmes de distribution pour continuer sa progression, tout en répondant à une charte marketing et qualitative mieux définie.

Plus de 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2015 pour le seul secteur indien des vêtements pour enfants, soit un bond annuel de 20% ; 360 millions d’euros et une croissance de 15% par an pour le secteur des jouets … L’Inde, avec une population de 50 millions de bébés de 0 à 2 ans et de 304,8 millions d’enfants de 0 à 12 ans a de quoi offrir de folles perspectives !

Le marché des enfants a en effet de beaux jours devant lui : la classe moyenne indienne ne cesse de se développer depuis la libéralisation économique du début des années 1990 et l’accélération de la croissance qui l’a suivie. Pour le cabinet international de consultants Mc Kinsey, elle a atteint les 250 millions de personnes en 2015. Un pouvoir d’achat renforcé, une attention portée au développement des enfants et une propension consumériste forte confirment la tendance. Un rapport du cabinet Deloitte avance que l’Inde sera, en 2030, « le marché de la consommation le plus important au monde. »

Petit tour d’horizon de ce marché qui, s’il jouit de facteurs structurels et sociologiques très favorables, est confronté à des problèmes de distribution et de régulation autant qu’à des approches marketing agressives qui devront être plus sérieusement encadrées.

Une société qui évolue 

Dream Party, Allure Events, Party Planet … Dans les grandes villes indiennes, on voit fleurir des agences spécialisées dans l’organisation d’anniversaires pour enfants : location d’une salle de réception dans des lieux d’exception, vêtements de luxe, buffets copieux, décors thématiques délirants, animations diverses, séances photo, cadeaux pour les nombreux invités… Rien n’est trop beau pour fêter son enfant et épater ses relations. L’augmentation récente du pouvoir d’achat dans les classes moyennes indiennes sert parfois à asseoir un statut et à prouver une réussite dont les enfants peuvent servir de reflet.

« Les enfants sont jugés sur la somme que les parents peuvent dépenser pour eux » considère Sunil Kumar, professeur de sociologie à l’Université du Kerala, dans le Sud de l’Inde. D’ailleurs, les marques de luxe ne s’y trompent pas : « Les vêtements que portent les enfants sont devenus le reflet du sens de la mode de leurs parents », considère la directrice de la chaîne Kidology ; qui propose des vêtements de créateurs indiens pour les bambins jusqu’à 10 ans. Giorgio Armani a ouvert en Inde un magasin pour enfants, Armani Junior, en s’associant avec un grand couturier indien, Suneet Varma. Les habits et accessoires se vendent entre 75 et 2500 euros. Le premier parfum indien pour enfants, Jungle Magic, a rencontré un succès dépassant les espoirs de sa créatrice Swati Piramal qui évoque « des ventes qui doublent chaque année. »

D’un autre côté, les enfants, moins nombreux, ont acquis une place centrale dans ces familles plus aisées. Ils sont davantage considérés comme des individus à part entière, en même temps qu’ils portent l’espoir de la famille de progresser encore sur l’échelle sociale. Cours de soutien scolaire, activités sportives coûteuses, jouets et livres éducatifs … Il faut offrir ce qu’il y a de mieux pour que son enfant devienne le meilleur ! « Les parents se sacrifient pour offrir des cours d’Abacus, des encyclopédies complètes ou des cours de natation à leurs enfants, dans l’espoir qu’ils deviennent les plus forts, les plus puissants, les plus célèbres et les plus riches », ajoute le Professeur Kumar.

Pourtant, face à cette pression, un autre mouvement se dessine, mettant davantage le caractère et les talents de l’enfant en avant. Dans cette optique, plusieurs start-up indiennes comme Toy Lab ou Be Crea8V proposent des jouets mobilisant créativité et imagination. Même si une marque internationale comme Lego est lourdement taxée en Inde, ses ventes connaissent une augmentation de plus de 15% par an  depuis 2010.

Les mentalités évoluent avec les modes de vie : ces familles urbaines quittent plus facilement le domicile parental (traditionnellement l’homme marié habite sous le même toit que ses propres parents), pour vivre dans des appartements. Les mères de famille sont, pour la plupart, salariées. Il faut donc s’organiser en conséquence, en achetant, par exemple, plus de produits manufacturés pour compenser le manque de temps. Les ventes de barres chocolatées, bonbons et autres gourmandises pour le goûter explosent. Si Cadbury domine largement le marché, des marques comme Ferrero India, annoncent des records de vente, avec une hausse de 76% en 2014 et des produits phares comme Nutella ou les œufs Kinder. Nestlé, de son côté, annonce un chiffre d’affaires d’environ 170 millions d’euros en 2013, rien que pour son Département chocolat, grâce notamment à la vente des populaires barres Kit-Kat.

Autre secteur, même progression: le marché des couches pour bébés connaît un boom fantastique : plus de 22% d’augmentation par an en moyenne depuis cinq ans, selon la société Research & Markets India. En fait, les dirigeants des géants mondiaux Procter & Gamble (Pampers) ou Kimberly Clark (Huggies) s’inquiètent moins de la demande, qu’ils considèrent comme « extrêmement forte », que de la distribution …

Des lieux et des normes 

S’il n’y a aucun doute sur les marges de croissance de ce marché gigantesque, deux domaines attirent en effet l’attention des spécialistes et pourraient bien transformer le marché dans les années qui viennent.

Dans le secteur des vêtements comme dans celui des jouets, le marché est encore majoritairement informel, entraînant des problèmes de distribution et de régulation. Si les centres commerciaux des grandes villes indiennes consacrent parfois un étage entier aux enfants avec des boutiques et des activités dédiées, il existe néanmoins encore peu de grandes chaînes de distributeurs. On rencontre quelques magasins généralistes pour les enfants comme Mothercare, Mee Mee ou Chicco ; Pour les jouets, on trouve les groupes Funskool ou Hamleys, qui a passé un accord de distribution avec le géant indien Reliance Retail, mais surtout des petits commerces indépendants et des échoppes sur les marchés, aux stocks aléatoires et à la qualité incertaine.

Le marché en ligne tire son épingle du jeu et, outre les deux géants de la distribution sur internet, Amazon et Flipkart, une kyrielle de petits sites spécialisés ont vu le jour: hopscotch, firstcry, babyoye, etc … qui permettent aux parents de se faire livrer à domicile des produits, principalement importés, répondant à leurs besoins.

Toutefois, cette prédominance forte du secteur informel, autant dans la distribution que dans la production, favorise les fraudes, le non-respect des normes de sécurité ou l’importation de produits de contrefaçon, potentiellement dangereux. Sanjay Luthra, P-DG de Mattel Toys (India), estime que les règles de sécurité indiennes (avec la norme ISI 9873 en Inde, contre la norme EN 71 en Europe) ne sont respectées que dans les grandes enseignes. D’ailleurs, en 2009, l’Inde a interdit pendant six mois l’importation de jouets chinois, estimant qu’ils ne répondaient justement pas aux normes du pays. D’autres observateurs remarquent qu’il s’agissait aussi certainement d’un geste en faveur des fabricants de jouets indiens, inquiets d’une concurrence trop importante.

Quoiqu’il en soit, une part non négligeable de consommateurs indiens s’intéresse désormais à la qualité et à la sécurité des produits achetés pour leurs enfants. Ces parents pourraient bien jouer un rôle de prescripteurs pour le marché de demain en Inde. « Il s’agit de personnes éduquées ayant voyagé ou bien issues de la diaspora indienne. Ces gens ont des réseaux importants notamment dans la presse, dans les milieux enseignants et médicaux, ou dans des groupes
influents, qui peuvent servir de relais éducatifs », explique Sunil Kumar. Il est vrai que s’il s’agit encore de marchés de niche, on remarque plus souvent des produits portant les mentions « Non-toxiques », « Sans Bisphénol A » ou « Sans Paraben » dans les magasins indiens. Les produits biologiques font aussi une entrée notable sur le marché des cosmétiques et de l’alimentation pour enfants. Profitant de cette conscience accrue, certains fabricants indiens ont vu renaître leur petit commerce, comme chez Channapatna, établi dans l’Etat du Karnataka, dans le Sud-Ouest de l’Inde, où la production de jouets en bois aux teintures non-toxiques n’a jamais été aussi importante. Plus flagrant encore, l’arrivée sur le marché de produits de puériculture dédiés à la sécurité des enfants : « Il y a seulement cinq ou six ans, on ne trouvait pas une poussette ou un siège-auto pour enfants en Inde », confirme le Professeur Kumar.

Mieux encadrer la publicité 

Si les grands groupes semblent respecter scrupuleusement les normes et les critères de sécurité locaux, ils possèdent un autre avantage sur leurs concurrents du secteur informel : ils maîtrisent les outils marketing et n’hésitent pas à s’en servir dans un pays encore assez permissif sur le contenu des publicités en direction des enfants.

« Les enfants peuvent se souvenir du nom d’une marque dès l’âge de trois ans ; à 10 ans, ils peuvent associer une marque à des valeurs », proclame Jamie Lord, responsable du marketing chez Millward Brown, une société de consultants. Dans ces conditions, on comprend l’intérêt de cibler des enfants, futurs acheteurs et de plus en plus prescripteurs vis-à-vis de leurs parents. Publiée par The European Journal of Business and Management, une étude menée à New Delhi sur des enfants de 6 à 12 ans et leurs familles montre l’influence de ces enfants sur leurs parents pour des achats les concernant: dans l’ordre, vêtements, jouets, chaussures et nourriture, mais aussi pour des achats concernant la famille, notamment des produits récents impliquant une certaine technologie: ordinateur, télévision, téléphone… Cette influence sur les produits quotidiens, plus forte que dans d’autres pays, viendrait du fait que les enfants de milieux plus défavorisés sont parfois plus éduqués que leurs parents et jouent donc un rôle de conseillers. A partir de huit ans, les enfants initient leurs premiers achats, principalement de petites sucreries.

Depuis 2014, le Advertising Standards Council of India (ASCI) a interdit aux marques alimentaires de passer de la publicité à la télévision pendant un programme pour enfants. De même, ces sociétés n’ont plus le droit d’acheter des encarts publicitaires dans les journaux destinés pour plus de 35% du lectorat à un jeune public. Bref, il existe bien quelques règles mais elles ne semblent pas toujours respectées et elles ne sont pas si contraignantes pour des entreprises qui, en parallèle, ont le droit de distribuer des produits publicitaires dans les écoles ou des échantillons gratuits dans les centres commerciaux, ou encore dans des centres de loisirs dédiés aux enfants. Quand on sait que l’Inde compte plus de téléphones portables, principal vecteur d’accès à Internet dans le pays, que de toilettes et que 22% des enfants indiens jouent au moins une fois par semaine à des jeux sur ce support, on comprend pourquoi beaucoup d’entreprises misent sur les publicités en ligne ou par SMS qui, de surcroît, sont encore moins réglementées.

Les contenus des messages publicitaires ont aussi de quoi surprendre, surtout lorsque l’on sait qu’un enfant, au moins jusqu’à 10 ans, prend pour argent comptant  les informations des publicités. Cela est d’autant plus vrai si les messages sortent de la bouche de leurs héros préférés  ou d’acteurs jouant le rôle d’un docteur, d’une maîtresse ou d’une mère de famille dévouée … Un secteur en plein boom économique donc mais avec des progrès à réaliser pour le bien-être de ses consommateurs.

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