Les réfugiés tibétains

Un « royaume de l’esprit » au cœur de l’Inde

Indes

juillet-aout 2016



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Les réfugiés tibétains, emmenés par le Dalaï Lama, sont arrivés par vagues successives en Inde depuis 1959, pour fuir la domination chinoise. Avec la bienveillance du gouvernement indien, ils ont su rebâtir, ainsi que leurs descendants, dans ce pays d’accueil de nouvelles trajectoires personnelles souvent très réussies. Sans oublier des structures administratives, voire politiques, et spirituelles qui cimentent la communauté tibétaine du monde entier.

Quand on rencontre le Dalaï Lama, le chef spirituel des Tibétains, on oublie vite qu’il s’agit du plus célèbre réfugié du monde, qui a fui en 1959 son pays passé sous domination chinoise et s’est établi en Inde. Sa Sainteté, comme l’appellent avec respect les Bouddhistes tibétains et son peuple, vous saisit les bras avec chaleur, une étincelle joyeuse dans le regard, derrière ses larges lunettes.

Lorsqu’on lui demande s’il est reconnaissant à l’Inde du Premier ministre Jawaharlal Nehru (1889-1964, en poste de 1947 à 1964) de l’avoir ainsi accueilli avec plus de 80 000 des siens et de lui avoir prodigué son amitié protectrice, il répond avec une bienveillance teintée d’humour et même d’espièglerie. Tenzin Gyatso, 14e Dalaï Lama, compare « la relation de l’Inde avec les Tibétains à celle d’un maître spirituel, un Gourou, avec ses disciples. Quand ses derniers rencontrent des difficultés, le maître doit davantage veiller sur eux. C’est ce qui s’est passé depuis plus de 50 ans entre l’Inde et les Tibétains. »

Le petit homme de 80 ans, dans sa robe grenat ceinte d’une écharpe dorée, peut être fier du chemin parcouru par les réfugiés tibétains en Inde, au fil des générations. Au prix notamment d’un vaste effort d’éducation et de solidarité, ils ont su s’intégrer dans leur pays d’accueil, – dont ils parlent les langues, à commencer par le hindi, – tout en conservant leur propre langue et leur culture bien vivante.

A le question de savoir d’où vient cet incroyable pouvoir de résilience de son peuple, – dispersé, au-delà du Tibet, à travers toute l’Inde et aux quatre coins du monde, – et d’où les Tibétains tirent leur capacité d’influence, ce « soft power » comme l’appelle le politologue américain Joseph Nye, sans commune mesure avec leur nombre ou leur poids politique, réduit dans les faits à presque rien, – le Dalaï Lama explique dans un sourire : « Notre ‘soft power’ est puissant parce qu’il est authentique et repose sur nos valeurs. »

Le sens de la compassion

Le sens de la compassion, chère au bouddhisme, est peut être la plus connue de ces valeurs universelles et elle n’est pas un vain mot. On peut aussi en mesurer l’efficacité pratique en visitant une école pour enfants tibétains, à Dharamsala, qui abrite la résidence du Dalaï Lama et les structures administratives des exilés tibétains. Là, dans l’Etat d’Himachal Pradesh, au Nord de l’Inde, on ressent au contact de ses enfants, – choyés par les professeurs et travaillant joyeusement en petits groupes sur des tables basses colorées, – le sens de l’entraide qui irrigue la communauté, lui insufflant force et cohésion.

Juste à côté, un village d’enfants accueille des orphelins, qui apprennent à s’organiser en chambrées, avec un adulte responsable, pour reconstituer une nouvelle famille, dans les simples tâches partagées du quotidien. Les garçons, des adolescents, sont tout à l’affaire du moment : un vaste match de football sur un grand terrain de terre battue, en contrebas des petites maisons en terrasse de cette station de montagne culminant à plus de 1400 mètres d’altitude, avec vue sur les sommets enneigés de l’Himalaya.

Les près de 100 000 réfugiés tibétains qui vivent actuellement en Inde sont dispersés dans des zones de peuplement réparties dans de nombreux Etats indiens, le Karnataka (Sud) et l’Himachal Pradesh en tête. Leur communauté reste cimentée par leur religion, leur langue et leur culture, sous l’égide du Dalaï Lama.

Ce dernier a su aussi intelligemment poser les bases de structures administratives et politiques pérennes, au-delà de son passage terrestre, pour son peuple et toute la diaspora : plus de 16000 Tibétains au Népal, selon les chiffres de leur administration centrale, environ 1800 au Bhutan et près de 25 000 autres dispersés ailleurs dans le monde, principalement en Amérique du Nord, Europe (France, Suisse, Allemagne…) et Australie. Au total, on dénombre autour de 150 000 Tibétains en exil et, selon les estimations des Tibétains, près de 6 millions vivent encore au Tibet sous contrôle chinois, auxquels s’ajoutent ceux établis dans d’autres régions de Chine.

Pour se convaincre que le Dalaï Lama a su efficacement passer le flambeau à d’autres leaders, il suffit d’assister à Dharamsala à une des deux sessions annuelles du Parlement tibétain en exil, qui rassemble les élus représentant les provinces du Tibet et l’ensemble de la diaspora. Il y a par exemple deux élus (Chitue) pour l’Europe. La salle, confortable et moderne, accueille ces 45 membres et les débats sont retransmis en direct par la télévision tibétaine.

Rencontre avec le « Premier ministre »

Les Tibétains de la diaspora élisent même démocratiquement depuis 2011 leur Sikyong, équivalent d’un Premier ministre, pour diriger l’Administration centrale tibétaine (on ne parle pas de gouvernement). Le Dalaï Lama a en effet pris sa retraite politique il y a cinq ans déjà, même s’il demeure le chef spirituel de son peuple.

Le Premier ministre des Tibétains, Lobsang Sangay, réélu en avril dernier pour cinq ans, est une figure aussi brillante que cosmopolite. Il se lève de son grand bureau et déploie sa longue silhouette svelte pour vous accueillir. Cet homme de 48 ans s’entretient avec vous dans un anglais parfait. Rien d’étonnant, il est diplômé de l’école de droit de Harvard, la grande université américaine.

« Je me suis senti un devoir d’agir pour mon peuple » , répond simplement ce natif de la ville de Darjeeling, dans le Nord-Est de l’Inde, également diplômé de l’Université de Delhi, à la question de savoir pourquoi il a abandonné une prestigieuse et lucrative carrière académique à la Harvard Law School. Il ajoute qu’il y a toujours beaucoup à faire, notamment en matière d’organisation et de développement éducatif, une des priorités au sein de la communauté, qui développe des liens universitaires en Inde et dans le monde.

Tout comme le Dalaï Lama, Lobsang Sangay appelle de ses voeux une « résolution par la non-violence de la question du Tibet » et défend la « voie médiane » prônée par le chef spirituel d’une « authentique autonomie pour le Tibet, dans le cadre de la constitution chinoise ».

Les Tibétains en Inde espèrent qu’un jour la question du Tibet pourra trouver un tel règlement. Mais la plupart ont déjà construit leur vie dans leur pays d’accueil, où ceux de la deuxième, troisième, voire à présent quatrième génération, sont nés.Tel est le cas, à New Delhi, de Karten Tsering, président de l’Association des résidents de la colonie tibétaine de New Aruna Nagar, plus connue sous le nom de Majnu Ka Tila, dans le nord de la capitale indienne. Ce commerçant de vêtements est né ici en 1968 de parents ayant fui le Tibet. Il est donc citoyen de l’Inde, sa « seconde mère-patrie » comme il l’appelle, où il se sent pleinement intégré, ayant même songé un temps à embrasser une carrière dans l’administration indienne, à l’instar de certains amis de sa communauté, par exemple dans les chemins de fer indiens. « Nous n’avons pas de quotas réservés mais nous pouvons postuler à ce genre de postes » , explique-t-il dans son bureau, entouré de portraits du Dalaï Lama et d’autres figures du Bouddhisme tibétain.

Des tentes au quartier organisé

Karten Tsering est fier de ce que les Tibétains ont construit à partir de rien dans ce quartier aux entrelacs de ruelles étroites, qui abrite désormais environ 4000 personnes. Marchés colorés, boutiques ouvertes ou modernes et climatisées, hôtels, restaurants aux délicieux mets locaux comme la « Thukpa » , soupe relevée à base de nouilles : c’est une petite ville propre, paisible et bien organisée, qui attire de nombreux Indiens et étrangers.

 

Karten Tsering, président de l’Association des résidents de la colonie tibétaine de New Aruna Nagar, à New Delhi

Karten Tsering, président de l’Association des résidents de la colonie tibétaine de New Aruna Nagar, à New Delhi

« Au départ, au début des années 1960, sur le terrain alloué, il n’y avait pourtant ici que des tentes et nous avons dû tout développer nous-mêmes sans aide particulière » , explique fièrement Karten Tsering, ajoutant que les premiers temps ont été durs pour les Tibétains, par exemple contraints comme ses parents de travailler comme manœuvres sur des chantiers de construction de routes, avant de développer peu à peu des activités de commerçants.

Au-delà de ces aspects matériels, Karten Tsering se réjouit que les Tibétains de New Delhi ou d’ailleurs en Inde aient su conserver leur culture pleine et entière, comme en témoigne le petit temple bouddhiste voisin, point de rencontre, avec sa joyeuse petite place, des jeunes comme des anciens de la communauté.

« Nous pouvons remercier pour cela le Dalaï Lama et Nehru, qui ont établi des écoles tibétaines où l’on a pu perpétuer notre culture, tout en apprenant celles de l’Inde et en s’ouvrant sur le monde » , estime-t-il. Les Tibétains ont ainsi préservé un véritable « royaume de l’esprit » dans leur nouveau pays. Certains, perpétuent les enseignements spirituels, comme Konchok Tenzin, 55 ans, un moine de passage dans la colonie et qui enseigne la philosophie bouddhiste dans un monastère du Karnataka. « Nous accueillons également des étrangers venus par exemple d’Europe », explique-t-il, rappelant aussi les liens ancestraux et profonds entre Bouddhisme et Hindouisme.

D’autres, comme Dolma, une jeune femme de 27 ans, vient ici pour redécouvrir sa culture, ses liens avec le Tibet et agir comme volontaire pour la communauté : « Je travaille dans un salon de beauté à New Delhi et je veux aussi faire partager ma culture avec mes collègues et amis indiens ou étrangers » .

Il y a même de jeunes Tibétains comme Tenzin, 24 ans, croisé dans un petit café en plein air de la colonie, qui apprennent le chinois. Il veut travailler dans l’interprétariat et le tourisme et trouve cette langue utile. Un de ces nombreux Tibétains d’Inde, qui gardent leur culture au cœur et une fenêtre bien ouverte sur leur pays d’adoption et sur le monde.

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