La boulangerie française à l’assaut de l’Inde

« la boulangerie n’est pas un luxe : c’est une nécessité »

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April 17, 2019

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Mars-Avril 2019



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Pâtisseries de la boulangerie et salon de thé L’Opéra à Delhi

Pâtisseries de la boulangerie et salon de thé L’Opéra, à Delhi

Si la pâtisserie française est pour vous ce que la madeleine était à Proust, alors rassurez-vous ! À Delhi comme ailleurs, les bonnes adresses pour trouver une bonne pâtisserie ne sont pas rares : petites et grandes boulangeries foisonnent dans les rues de la capitale depuis les années 2000, ce qui n’a pas échappé aux grandes enseignes, qui se lancent à l’assaut du très attractif marché indien.

Sur quelques notes de Yann Tiersen, Depti, australienne d’origine indienne installée depuis peu en Inde, et sa fille Anya, cinq ans, attendent le cappuccino et l’éclair au chocolat qu’elles viennent de commander. Autour d’elles, un groupe de collègues parlent business et deux amies papotent autour d’un café et de pâtisseries. Le menu, la musique et le mobilier, dont les jolies chaises de café en bois, nous rappelleraient l’un de ces beaux cafés de Montmartre. Pourtant, c’est bien à Delhi que mère et fille se retrouvent, à la boulangerie française de renom L’Opéra, qui attire de nombreux amateurs de pâtisseries authentiquement françaises.

En effet, la boulangerie française connaît un essor croissant en Inde depuis les années 2000. Si Brioche Dorée et Paul ont décidé de s’installer dans la capitale ces derniers mois, nombreux sont ceux qui vendent déjà pains au chocolats et baguettes, animant ainsi un marché compétitif. Deux institutions de la capitale, l’une française et l’autre indienne, L’Opéra et Defence Bakery, sont quant à elles, au stade de l’expansion avec la multiplication de leurs boutiques, pour le plus grand bonheur de leurs clients.

La boulangerie française : une histoire de famille

Tushar et Gaurav Dhingra, directeurs de Defence Bakery

Tushar et Gaurav Dhingra, directeurs de Defence Bakery

« Ce fut un long voyage pour en arriver à ce que la boulangerie est aujourd’hui » déclarait à INDES Gaurav Dhingra, codirecteur de Defence Bakery, accompagné de sa femme, Bogusia Sipiora, directrice marketing. Fondée en 1962 par le grandpère des deux directeurs actuels, Defence Bakery est la seconde boulangerie à avoir ouvert ses portes dans la capitale. Le fondateur, Jagdish Mitra Dhingra, avait d’abord été, avant la Partition, boulanger dans la région qui allait devenir le Pakistan et avait ensuite ouvert un magasin de bonbons à Mumbai. Il s’installe finalement à Delhi avec le but de rendre la boulangerie accessible à tous. Cet état d’esprit est toujours présent dans l’institution aujourd’hui, qui s’efforce de maintenir un prix raisonnable pour leurs produits, notamment sur la fameuse baguette qui coûte 65 roupies, soit moins d’un euro. Pour la famille Dhingra, « la boulangerie n’est pas un luxe : c’est une nécessité ».

Cette boulangerie indienne s’est ouverte à la culture française lorsque les petits-fils du créateur, Gaurav et Tushar Dhingra, sont devenus les directeurs de l’entreprise, afin de répondre à la demande des clients qui, selon eux, a évolué à partir du moment où ils se sont mis à voyager. « Lorsqu’ils [nos clients, ndlr] voyagent, ils reviennent toujours avec de nouvelles expériences, et commencent à rechercher les nouvelles saveurs qu’ils ont expérimentées durant leurs voyages » explique Gaurav Dhingra. Allant de la cuisine italienne, allemande et française à la cuisine indienne, cette boulangerie revendique une carte « cosmopolite », marquée par sa volonté de faire découvrir de nouveaux produits à sa clientèle à travers ses diverses influences. C’était, selon lui, un risque à prendre. « Peut-être qu’ils aimeront, peut-être n’aimeront-ils pas ; je me suis dit je veux le faire donc je vais le faire du mieux que je peux » expliquait-il dans une de ses boutiques, à Greater Kailash, un quartier du sud de Delhi.

 

Kazem Samandari, co-fondateur de l’Opéra ; pâtisseries de la boulangerie L’Opéra

Kazem Samandari, co-fondateur de L’Opéra ; pâtisseries de la boulangerie L’Opéra

À quelques minutes du magasin se trouve une autre institution : la boulangerie L’Opéra. Fondée par la famille Samandari en 2011, cette boulangerie, désormais reconnue pour son savoir-faire incomparable, s’est imposée sur la marché indien dès son arrivée. La mise en place de l’entreprise a pourtant commencé bien avant. L’aventure démarre en 2008, lorsque Laurent Samandari vient faire un stage de fin d’étude à Delhi, ville où habite déjà sa sœur. « Notre fils Laurent ne trouvait pas de produits français de bonne qualité. Les boulangeries françaises n’avaient que le nom, mais pas la qualité. Nous avons alors commencé une étude de marché très poussée, très détaillée, qui a duré quatorze mois, jusqu’à fin 2009 », nous explique Kazem Samandari, co-fondateur de l’entreprise, président du conseil d’administration, et père de Laurent. « C’était comme concevoir un enfant. »

Pendant ces quatorze mois, parents, frère et sœur unissent leurs forces pour étudier le marché. Et c’est en décembre 2009 qu’ils décident de se lancer dans le projet L’Opéra, travaillant ensuite pendant six mois avec un pâtissier français. En 2010 a lieu la construction de l’usine, qui possède sa propre petite station d’épuration d’eau ainsi que des équipements importés. Jusqu’en 2011, année d’ouverture du premier comptoir au sein de l’ambassade de France et du premier magasin à Khan Market, la famille Samandari teste les produits indiens, évaluant ainsi les besoins de l’entreprise. Rien ne destinait cette famille à se lancer dans la cuisine, puisqu’aucun d’entre eux n’avait encore travaillé dans ce domaine. Leurs expériences passées ont toutefois été un atout, dans la mesure où ils avaient l’habitude de travailler à l’étranger. Pour Kazem Samandari, qui a travaillé dans soixante-quatre pays différents, « c’est une très belle aventure, vous créez quelque chose de rien, vous y croyez. Il faut nourrir, protéger, développer. C’est magnifique de pouvoir partager ça avec les membres de la famille ».

L’adaptation, la recette du succès ?

L’arrivée sur le marché indien n’est pas sans défis : des adaptations sont nécessaires sur tous les plans, à commencer par l’adaptation au climat. Si le climat peut sembler être un élément dérisoire dans le choix du pays, il est primordial quant au choix des ingrédients. En effet, il a un impact considérable, notamment sur leur conservation. De plus, ces ingrédients ne sont pas les mêmes selon les pays. Les entreprises doivent donc faire une étude stratégique. Ainsi, alors que Brioche Dorée mise plutôt sur du beurre et de la farine exclusivement français pour rester fidèle aux origines, Defence Bakery et l’Opéra, essayent de favoriser les produits indiens. Pour Gaurav Dhingra, leur crédo « a toujours été très clair. Nous essayons de faire des recettes internationales mais toujours avec le plus d’ingrédients locaux possible ». Ils ont donc parcouru l’Inde, à la recherche de graines pour produire sur place une farine similaire à la farine française. Quant à L’Opéra, ils ont fait le choix d’utiliser à la fois de la farine française et de la farine locale, afin de privilégier la qualité. Selon Kazem Samandari, il est inutile d’importer des produits qui peuvent apporter le même résultat que les produits existants sur le marché indien.

L’un des autres défis a été la formation des chefs indiens. Gaurav et Tushar Dhingra se sont formés respectivement en Suisse et au Royaume-Uni, à la célèbre école Cordon Bleu, avant de former à leur tour leurs chefs indiens. Les autres enseignes, françaises d’origine, ont soit engagé des chefs français venant travailler directement dans leurs usines en Inde, soit envoyé leurs chefs suivre des formations en France pendant plusieurs mois. Ils ont également tous dû faire face à d’autres problèmes, tels que ceux de l’alimentation en électricité et en eau, qui sont surmontables pour le co-fondateur de L’Opéra : « Il n’y a pas de pays sans problème, ce qui est important c’est de savoir trouver des solutions pour la situation propre à ce pays. »

L’adaptation des recettes relève en revanche de chacune des politiques des maisons. Si certains font le choix de la modification des recettes pour les rendre attractives selon les critères indiens, d’autres misent sur un travail pédagogique pour ouvrir et habituer le palais indien à de nouveaux produits. Ainsi, Brioche Dorée a adapté ses produits : le magasin est entièrement végétarien, ce qui est un choix du partenaire local, Haldiram’s, connu pour ses produits indiens traditionnels et exclusivement végétariens. De plus, comme l’explique Fabrice Pons, conseiller technique AsiePacifique de la chaîne française, le pain de certains sandwichs est plus mou, se rapprochant ainsi davantage du pain consommé par les Indiens. Les recettes sont aussi plus épicées pour certains sandwichs et certaines salades que les recettes en France.

Au total opposé, L’Opéra a choisi de ne pas s’adapter. « On n’a pas adapté. C’était dur, il a fallu résister à la tentation. » se souvient Kazem Samandari. À l’adaptation, l’institution a préféré l’authenticité, c’est-à-dire garder les recettes originales, sans les changer. Tout comme Defence Bakery, ils ont donc dû effectuer un travail informatif auprès de leur clientèle afin d’introduire de nouveaux produits sur le marché indien, comme la galette des rois ou la tarte au citron, ou même la baguette, dont la façon de la consommer n’allait pas de soi, mais qui aujourd’hui se vendent très bien.

Un marché prometteur et en pleine expansion

Viennoiseries et pâtisseries de la boulangerie Brioche Dorée à Connaught Place, à Delhi

Viennoiseries et pâtisseries de la boulangerie Brioche Dorée à Connaught Place, à Delhi

Aujourd’hui, le marché indien est sans nul doute un marché prometteur pour la boulangerie française et attire de nouveaux acteurs, dont les chaines de restauration françaises. Comme l’explique Fabrice Pons, « les goûts ont commencé à changer, il a fallu les [les clients, ndlr] écouter, faire des tests ». En effet, si les nouveaux arrivants doivent encore tester ce marché, ils bénéficient des retombées des efforts d’introduction de ces produits par les précurseurs de la boulangerie à la française. Des efforts qui semblent couronnés de succès comme le démontre l’expansion des deux grandes enseignes, Defence Bakery et L’Opéra. Ainsi, L’Opéra ouvre, depuis ce début d’année, « un salon de thé toutes les 4 semaines ». « Le premier jour où nous avons ouvert à Defence Colony, nous avons atteint les chiffres que nous avions prévu pour le cinquième mois », se réjouissait Kazem Samandari. Tous prévoient de s’étendre dans les années à venir : Defence Bakery espère ouvrir de nouvelles boutiques à Mumbai, Chennai et Kolkata, une cinquantaine dans les cinq prochaines années. Quant à L’Opéra, il envisage d’ouvrir plus de 20 magasins d’ici fin 2019.

En outre, selon les dirigeants de ces deux enseignes, dans le contexte d’une concurrence croissante, le fait que leurs clients soient maintenant familiers avec ces recettes, leur permet aujourd’hui de se concentrer exclusivement sur la qualité de leurs produits, chacune misant sur ses points forts. Defence Bakery peut compter sur un excellent rapport qualité/prix et les clients apprécient tout particulièrement la diversité du menu leur permettant d’acheter en même temps pattis indiens (sorte de friands fourrés) et croissants. L’Opéra mise, quant à lui, sur la finesse de ses mets et de ses desserts, dignes des plus grandes boulangeries françaises. Une qualité qui a su ravir Depti et sa fille, qui repartent du salon de thé conquises et le sourire aux lèvres !

 

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