Entreprenariat « à la française »

L’aventure indienne

Portrait

March 9, 2018

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Indes

mars-avril 2018



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Johanne Barbier et Nicolas Mirguet

De l’immobilier au tourisme en moto, en passant par la restauration et l’outsourcing, portait de six entrepreneurs français qui se sont lancés dans l’aventure indienne. Entre surprises, déceptions, difficultés et réussites, ils partagent avec nous leurs parcours originaux.

Titri – L’Outsourcing « à la française »

Johanne Barbier et Nicolas Mirguet

C’est un échange universitaire qui permet à Nicolas et Johanne de découvrir l’Inde : « un choc, mais très vite l’impression que l’on peut tout y faire ». Pourtant c’est d’abord le retour en France, les premières expériences professionnelles avec, dans la tête des envies de voyages et ce goût de l’Inde qui ne cessent de croître. « Nous étions attirés par de nouvelles expériences, nous avions envie de sortir du bureau et de vivre autre chose ». Finalement, en 2012, Nicolas décroche un poste à Bangalore et Johanne le suit avec l’idée de monter sa boite. « Un coût de la vie plus faible, moins de risque financier à se lancer » ; l’idée n’est pas encore très précise mais les opportunités sont là, Nicolas et Johanne en sont convaincus, et ils sont prêts à s’adapter.

Un premier client français permet à Johanne de se lancer dans l’outsourcing. Après un recrutement, qui n’est pas toujours simple « dans une ville où ce sont les employeurs qui courent après les employés », une petite équipe compétente est formée et l’aventure Titri commence. Très vite, Nicolas rejoint l’entreprise et apporte ses compétences dans le domaine digital. Alors, l’offre s’agrandit : gestion de backoffice, création d’appli mobiles, site internet, retouche photos, etc. « Nous avons beaucoup testé pour voir ce qui marchait ».

Après ces premiers tâtonnements, l’entreprise se recentre et développe une expertise sur la saisie de données, toujours, mais surtout sur la retouche photo, d’abord pour les sites de e-commerce et désormais pour des travaux plus complexes, sites ou photographies de mode par exemple.

S’il existe une forte concurrence, Titri a su trouvé sa cible : les PME francophones. « Ces entreprises veulent externaliser mais Titri – L’Outsourcing « à la française » Johanne Barbier et Nicolas Mirguet elles ont parfois peur de la distance, de l’environnement anglophone, du manque de suivi ou du non-respect des délais. Nous leur servons d’interface et cela les rassure énormément. » Cette relation privilégiée n’est effectivement pas de trop, car les différences culturelles apparaissent parfois là où l’on ne les attend pas. « Au début, notre équipe retouchait le corps des mannequins européens selon des critères de beauté plus locaux, un peu à l’image des déesses indiennes : taille très fine, larges hanches, poitrine opulente. De même, points de beauté ou taches de rousseur étaient systématiquement effacées car inconnus en Inde. » Johanne et Nicolas ont donc formé leur équipe à la retouche « à la française ». Une particularité qui leur garantit ainsi une place privilégiée sur ce marché prometteur et une plus grande fidélité de leurs employés : « Nos salariés ont l’impression d’acquérir avec nous plus d’expérience qu’ailleurs. » D’ailleurs Johanne et Nicolas gèrent aussi leur entreprise « à l’européenne » : « Nous sommes moins dans la hiérarchie. Les salaires chez nous sont un peu plus élevés que la moyenne et nous avons des horaires normaux, entre autres », tient à souligner Johanne.

Aujourd’hui, Titri compte plus d’une trentaine d’employés et le couple, solidaire et complémentaire, se tourne vers l’avenir avec confiance.

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Doris Delessard et Mathilde Souffront

MD Relocation & Consultancy – Recherche appartement à Delhi et à Mumbai

Doris Delessard et Mathilde Souffront

Une fois son diplôme d’école de commerce en poche, voilà que le rêve de Doris se réalise. En 2003, elle part en Inde pour un stage dans une agence de marchandising, puis, en 2005, pour représenter le dentellier français Jean Barcq. Sur place, elle reçoit parfois des messages de futurs expatriés : comment se déroule la vie quotidienne à Delhi ? Quels sont les meilleurs quartiers ? Et la pollution ? Les écoles ? La sécurité pour les femmes ? Des questions récurrentes qui donnent à Doris l’idée de lancer sa petite entreprise de relocalisation. « À l’époque, il y avait encore peu d’expatriés en Inde et, au vu des nouvelles, parfois effrayantes, diffusées en France, les gens étaient en demande d’assistance. Je me suis dit qu’il y avait un marché et hop ! Avec 7 000 euros d’économie, j’ai lancé ma boite ! » Le challenge ne fait pas peur à la jeune fille de 23 ans, d’autant qu’elle rencontre rapidement Mathilde, qui travaille pour un groupe hôtelier en Inde, mais qui, elle aussi, veut se lancer dans l’aventure de l’entreprenariat. Ainsi en 2008 naît l’agence MD Relocation & Consultancy avec deux bureaux, celui de Delhi géré par Doris et celui de Mumbai, géré par Mathilde. « Au départ, nous proposions une large gamme de services : visites personnalisées des quartiers, recherche de logements, aide au déménagement, enregistrement au bureau des visas (FRO), embauche du personnel domestique, etc. » Un panel de service, qui, s’il était très apprécié d’une clientèle parfois dépaysée et avide de recommandations, était lourd à gérer. « Le fait de passer par trop d’intermédiaires nous faisait perdre la maîtrise des choses. Or, en Inde, pour garantir un service de qualité, il vaut mieux pouvoir maîtriser toutes les étapes au maximum.».

Si l’agence continue à accompagner ses clients, elle se concentre désormais uniquement sur l’offre locative, avec un Doris Delessard et Mathilde Souffront service immobilier « à la française ». Une base de données bien fournie, accessible en ligne avec des références classées selon différents critères (quartier, descriptif détaillé du bien, et nombreuses photos). Un vrai contraste face à la façon de faire des « brokers », les agents immobiliers locaux, qui, dans un secteur très informel et peu contrôlé, ne tiennent pas toujours compte des besoins exprimés par leurs clients.

Toutefois, les défis restent bien présents. Côté clients, les exigences sont parfois en décalage avec la réalité indienne. « Nous devons anticiper les attentes des expatriés, qui vont se focaliser sur des aspects qui ne choquent pas forcément les Indiens, » notamment la propreté, la peinture, la plomberie ou l’électricité aléatoire, la disposition des pièces, un loyer trop élevé ou encore un environnement bruyant. Certains s’adaptent, d’autres pas du tout. Côté compétiteurs et propriétaires, c’est aussi un peu le parcours du combattant. Il y a d’abord une forte concurrence sur un marché très volatile. « A Delhi par exemple, les locataires font facilement appel à 5 ou 6 brokers en même temps. » De même que les propriétaires n’offrent aucune exclusivité et changent les prix ou les clauses locatives de façon assez aléatoires. « À nous de nous assurer de l’honnêteté des gens et de savoir s’imposer si nécessaire. » Il faut anticiper, trouver des solutions de remplacement car « un deal peut être cassé la veille de l’aménagement » et toujours tout mettre par écrit. Les deux amies ont réussi à former une équipe de confiance qui gère désormais au quotidien les relations clients. La prochaine étape est probablement de s’ouvrir à une clientèle plus vaste : « le marché de niche n’est peut-être pas encore totalement pertinent en Inde. Avec l’expérience, je conseillerais plutôt de viser un large marché», conclue Doris qui partage désormais sa vie entre l’Inde et le Qatar.

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Alexandre Zurcher

Vintage Rides – L’évasion en Royal Enfield

Alexandre Zurcher

Vous rêvez d’évasion loin des sentiers battus, de traversées sauvages au cœur de paysages contrastés? Pour vous, le voyage rime avec découverte, nouvelles expériences et rencontres improbables ? C’est aussi le cas d’Alexandre qui, au cours de son année d’échange universitaire à Delhi, en a profité pour découvrir le pays : 2 500 km à travers le sud de l’Inde en Royal Enfield, la petite moto mythique, hyper maniable et fabriquée à l’identique en Inde depuis 1949. Une première expérience et tout de suite, l’envie de faire partager cette façon de voyager. Alexandre retourne alors en France,juste le temps de récolter un capital de départ et de structurer son projet en Inde. En 2006, il crée Vintage Rides et s’associe l’année suivante à Alex le Beuan, un autre Français, fondateur de Shanti Travel, une agence de voyage basée à Delhi. « C’est assez facile de lancer sa boite en Inde. Une petite mise de fond et un expert comptable suffisent. » Si le voyage à moto est une véritable niche, Alexandre n’a pourtant pas de mal à attirer ses premiers clients, principalement francophones : « Une large majorité de motards souhaitent partir avec un voyagiste spécialisé. C’est un réseau et nous répondons à leurs attentes. » Et le bouche à oreille fonctionne. « L’idée est aussi de casser les clichés sur l’Inde. Nous prenons les petites routes et privilégions les itinéraires très contrastés. Nous croyons aux rencontres fortuites : par exemple, on déjeune au bord de la route, on visite des petits villages et les échanges naissent d’eux-mêmes. En fait, même si nous visitons aussi les monuments importants, ce que préfèrent nos clients, c’est véritablement le trajet et ses aventures imprévisibles.» Et effectivement, tout peut arriver sur les routes indiennes où l’encadrement reste primordial. La sécurité, le transport de bagages ou de passagers ou encore l’assistance mécanique sont des aspects, eux, qui demandent une bonne organisation et ne sont pas laissés au hasard.

Selon Alexandre, s’il est facile de lancer sa boite en Inde, il est beaucoup plus difficile de la développer quand la gestion au quotidien prend un temps précieux. « Il faut absolument être conseillé, s’entourer des bonnes personnes, s’adapter et rester patient. Les exigences administratives sont sans fin et évoluent en permanence. » Quand le nombre de salariés augmentent, les contraintes suivent, sans compter que l’embauche d’étrangers n’est apparemment pas facilitée. Pourtant, en 12 ans, la petite agence a déjà parcouru un long chemin : 30 employés au total, un nouveau bureau en France et des itinéraires proposés dans sept pays. « Notre clientèle cible s’élargit : nous visons plus largement le marché européen et anglophone, la GrandeBretagne, les États-Unis ou l’Australie, même si le marché indien nous intéresse aussi. » Bonne route !

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Nicolas Grossemy

« Le Casse-Croûte », un p’tit food truck qui roule

Nicolas Grossemy

Que faire en Inde lorsqu’on est jeune, curieux et travailleur, doté d’une grosse envie d’entreprendre et d’une bonne dose de persévérance ? En 2015, à l’issu de son stage à Bangalore, chez Titri justement (le monde est petit), Nicolas a l’idée de se lancer dans la restauration, un secteur qu’il connaît grâce aux jobs étudiants qu’il a exercés tout au long de ses études. Brainstorming avec Johanne et Nicolas, le couple français de l’entreprise d’outsourcing, qui décident de soutenir le projet. Au cœur de la « Silicone Valley » indienne, peuplée de jeunes gens dynamiques, émancipés et ouverts sur le monde, l’idée d’un café français est séduisante – D’autant que le concurrence est rare et qu’elle s’adresse à un public très ciblé et plutôt aisé – Pour les trois partenaires, l’objectif est clair : « nous voulions toucher la population jeune que nous connaissions, créer un lieu informel, convivial et maintenir des prix dans la moyenne. » Mais, il n’est pas simple de trouver un lieu : les propriétaires sont réticents, l’investissement est important, et, en y regardant de plus près, cette vaste population de jeunes employés consomme en abondance de la « Street food » locale, c’est à dire une variété infinie de petits snacks, vendus par les marchands de rue. Voilà comment le concept de « Food truck » (camion-restaurant) germe dans la tête des trois amis : « Nous n’y avons vu que des avantages. L’investissement est moins important et on peut aussi se déplacer là où se trouvent nos clients.» Le «Casse-croûte» est né mais il faut encore marquer la différence et composer le menu. Le choix se porte sur les croquemonsieur, « parce que c’est une recette assez simple, inédite en Inde, personnalisable et que l’on peut finir de préparer le produit dans le camion devant les clients. » Une idée prometteuse mais déjà, un nouveau défi à l’horizon : comment cuisiner français lorsque l’on a ni l’envie, ni les moyens d’importer des produits ? Nicolas fait appel à son meilleur ami, cuisinier, qui rejoint l’aventure. « On a fait des essais et progressivement, on a réussi à faire un pain frais, notre ingrédient principal. Même chose pour la moutarde, le fromage et le reste de nos produits. » Et ça marche ! « Au début, les consommateurs étaient curieux. Et puis, nous voir cuisiner en direct a permis des échanges, des explications sur les produits proposés et a contribué à créer une ambiance conviviale. » Les deux amis se lancent à fond et ne comptent pas leurs heures. De 11h à 23h, le « Casse-croûte » propose ses sandwichs « french touch ». Ils se font bientôt épaulés par une équipe de quatre employés formés par leurs soins.

Le succès est au rendez-vous, à tel point que la petite entreprise est régulièrement sollicitée pour des événements privés. Seule ombre au tableau : le business peine à obtenir un permis en bonne et due forme pour exercer son activité dans la rue. Mais l’équipe croit dur comme fer à son concept et même si la cuisine principale, située dans un bâtiment, propose désormais aussi un petit espace restauration, le développement passera plutôt par l’ouverture d’un second « food truck », puis de beaucoup d’autres, pourquoi pas ?

 

 

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