A l’ombre du Taj Mahal

Des femmes brûlées à l’acide

Société

April 2, 2015

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Indes

mars-avril 2015



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A l’ombre du Taj Mahal

A quelques encablures du sublime Taj Mahal, un restaurant ouvert par cinq femmes brûlées à l’acide, témoigne d’une tout autre réalité de l’Inde. A l’aide du mouvement Stop Acid Attacks les cinq combattantes ont cependant fait de ce café-restaurant un lieu de vie « engagé ».

Lorsque j’ai vu mon visage à l’hôpital, après l’opération qui a suivi l’attaque, je me suis dit que j’aurais mieux fait de mourir. Il ressemblait à du chocolat fondu ». Il y deux ans et demi, alors qu’elle rentrait à pied de son entrainement de volley-ball, dans sa ville natale de Rothak (Haryana, au nord), Ritu, qui reçoit aujourd’hui les clients à Sheroes Hangout, a été aspergée d’acide par un homme à moto. Peau, muscles, tissus sous-cutanés, le liquide n’a rien épargné… Dans d’atroces souffrances, sous le regard de témoins passifs, la jeune fille a aussi perdu son oeil gauche. Ce jour- là, à 17 ans, sa vie a basculé.

Chaque année, on répertorie en Inde une centaine d’attaques à l’acide, perpétrées la plupart du temps par des hommes éconduits « ou par des proches, pour venger des différents familiaux sur les terres.

C’est cette dernière raison qui a motivé le cousin de Ritu, le commanditaire du crime qui l’a défigurée.Depuis, l’homme et ses complices purgent une peine de prison mais la jeune fille sait que, malgré les six opérations déjà subies, et la dizaine d’autres qui l’attendent probablement, elle ne retrouvera jamais sa beauté passée.

Cependant, son enthousiasme force l’admiration. L’adolescente aux ongles peints, habillée avec soin, part de temps en temps dans de grands éclats de rire communicatifs. Sheroes Hangout, ouvert en fin d’année dernière, a donné un nouveau sens à sa vie. « Depuis l’attaque, je ne faisais plus rien. Ici je m’occupe des livres de notre bibliothèque et de la comptabilité, je suis tout le temps occupée, j’apprends beaucoup. Et j’ai trouvé une seconde famille. Alok Dixit, le fondateur de Stop Acid Attacks, est comme un père pour moi. Pourtant il n’a que 26 ans ! »

 

INDES mars-avril 2015

Rêves de mode et de chansons

« Sheroes » est l’amalgame de « she » et de « heroes » (« elle » et « héros » en français). Ces cinq héroïnes exceptionnelles, passées ici du statut de victimes à celui de combattantes, se sont approprié l’endroit, décoré de fresques vives et de photos d’elles dans des tenues d’apparat. Sur des cintres, des vêtements confectionnés par Rupa, défigurée par la seconde femme de son père à l’âge de 15 ans. Elle aime les belles choses et veut être créatrice de mode.

Neetu, hospitalisée le jour de notre passage, a l’espoir de devenir chanteuse. Un rêve pour cette jeune femme rendue quasi aveugle à l’âge de trois ans par son propre père lorsque, dans un geste fou, il a lancé de l’acide sur son épouse et ses deux enfants. Sa petite soeur est morte dans le drame. Sa mère, Geeta, vingt ans après les faits et une vie passée à balayer les rues, supervise à présent la restauration à Sheroes Hangout.

L’argent nécessaire au mouvement Stop Acid Attacks et Chhanv Foundation, l’organisation qui en émane (créés respectivement en 2013 et 2014) pour ouvrir le café-restaurant a été récolté grâce à une campagne de levée de fonds. Les prix des plats et des boissons sont laissés à l’appréciation des clients indiens et internationaux. Pour continuer l’action, d’autres Sheroes Hangout sont prévus à Kanpur et à Delhi dans un premier temps.

Coup d’essai, celui d’Agra, judicieusement planté en face du grand hôtel de luxe Gateway(indiqué dans toute la ville), est aussi une plate-forme permettant aux militants de la cause de s’exprimer.« Nous demandons que les peines des agresseurs soient plus lourdes, et prononcées plus rapidement, et que les Etats assurent pleinement la prise en charge légale et financière des victimes » explique Anuj, un jeune volontaire, ancien étudiant en journalisme. Les trois lakhs (soit environ 4 200 euros) prévus actuellement ne paient parfois qu’un huitième des opérations chirurgicales nécessaires.

La pression est mise aussi sur les gouvernements régionaux afin qu’ils aident les survivantes à trouver un emploi, la clé pour que ces femmes souvent jeunes, pauvres et sans qualification mènent une vie digne envers et contre tout.

 

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Cloitrées chez elles

En mars 2014, Laxmi, une des figures emblématiques de Stop Acid Attacks, s’est vue décerner par Michelle Obama, à Washington, le prix « Women of Courage » suite à son combat pour règlementer la vente d’acide. Le chemin vers une vie sociale a été long pour la jeune femme brûlée à 16 ans, qui aujourd’hui partage l’existence d’Alok Dixit, le fondateur du mouvement. Pendant huit ans elle a vécu cloitrée chez elle, ne sortant que recouverte d’un voile sur le visage.

Une condition que connaissent toujours beaucoup de femmes de son âge, souvent rendues partiellement sourdes ou aveugles par l’acide. « Grâce aux renseignements de la police, nous partons à leur recherche dans les villes et les villages du pays où elles se cachent parfois afin de les ramener à la lumière », explique Anuj. « Nous les aidons à défendre leurs droits, à obtenir des compensations financières, et à trouver des donateurs pour financer leurs opérations. » Le parcours de toute une vie pour ces brûlées détruites tant au plan physique qu’émotionnel.

A Agra, Sheroes Hangout se trouve en face du grand hôtel Gateway, sur la route de Fatehabad, à environ 3 km du Taj Mahal.

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