Tourisme animalier
Il serait illusoire de prétendre dresser un panorama complet de l’offre touristique indienne des sites naturels tant la mosaïque de territoires et de biotopes présents est riche et étendue. Mais une chose est certaine : l’extraordinaire engouement des Indiens pour leur patrimoine naturel a profondément modifié la donne ces dix dernières années et les infrastructures d’accueil des réserves se sont rapidement développées dans des lieux que seuls de rares initiés fréquentaient auparavant. Faut-il redouter l’avènement d’un tourisme de masse ou bien l’Inde saura-t-elle proposer un modèle combinant harmonieusement pragmatisme économique et préservation de cette biodiversité ?
Comptant 550 sanctuaires de vie sauvage, une centaine de parcs nationaux et une cinquantaine de réserves de tigres, l’Inde dispose d’un potentiel de tourisme vert sans égal en Asie, mais qui s’accompagne d’une responsabilité gigantesque quant à la protection de ce patrimoine du vivant hautement menacé. Comment le pays concilie-t-il préservation de ce riche patrimoine naturel et développement de ce potentiel touristique ? Retour sur l’histoire du tourisme animalier en Inde.
Genèse du tourisme animalier en Inde
À partir des années 1970, une série de textes a permis de compléter le socle législatif existant, soit l’Indian Forest Act de 1927 et ses amendements, destiné à protéger les forêts indiennes et la faune et la flore qu’elles abritent. Citons entre autres le Wildlife Protection Act de 1972, le Forest Conservation Act de 1980 et l’Environment Protection Act de 1986.
Alarmé par le déclin dramatique de son animal emblématique, l’Inde décide en parallèle le lancement du Tiger project en 1973 qui confère un statut renforcé et des moyens importants à des aires protégées identifiées comme étant favorables à la sauvegarde de l’espèce.
Avec l’arrêt de la chasse aux tigres et de la plupart des espèces indiennes menacées dans les années 1970, une nouvelle ère s’ouvre et les appareils photos remplacent progressivement les fusils alors qu’une nouvelle menace grandissante fait son apparition, celle du braconnage à grande échelle. Il faudra néanmoins attendre les années 1990 pour que les programmes de protection mis en place dans les réserves de tigres intègrent des réflexions sur l’accueil des touristes. Sont d’abord visés les étrangers au fort pouvoir d’achat. Mais avec l’émergence d’une classe moyenne, les Indiens aspirent à jouir des trésors naturels de leur pays. C’est au cours de la première décennie du XXIe siècle que la bascule s’opère et que l’essor du tourisme vert est davantage soutenu par la demande intérieure que par les touristes étrangers.
Le braconnage intense qui sévit au cours de la même période amène cependant à s’interroger sur le rôle et l’impact positif réel du tourisme. Après des dysfonctionnements graves qui ont conduit la National Tiger Conservation Authority (créée en 2005) à envisager d’interdire purement et simplement l’accès aux visiteurs, il a finalement été décidé d’encadrer plus strictement les conditions de visite des parcs concernés.
Une prodigieuse biodiversité au cœur des enjeux touristiques
Pour qui souhaite approcher la faune et vivre des expériences uniques au milieu d’étendues sauvages, on conseille souvent les très nombreuses réserves africaines spécialisées dans le tourisme animalier. On associe à l’Inde sauvage l’image réductrice de son animal totémique, le tigre du Bengale, dans les biotopes d’Inde centrale, alors que le sous-continent offre une variété impressionnante de destinations pour aller à la rencontre d’une très riche biodiversité.
À l’extrême ouest, dans la péninsule du Gujarat, ont été sauvés de l’extinction les derniers lions d’Asie. Ils sont plus de 700 à prospérer dans le parc national de Gir et ses environs, sur une surface totale de 22 000 km². Non loin de là dans le Blackbuck National park de Velavadar, il est possible d’admirer en nombre les splendides antilopes indiennes cervicapres. Ces contrées extrêmement arides accueillent également d’autres prédateurs comme les hyènes striées, les loups gris indiens et les léopards ainsi qu’une grande diversité de rapaces.
Tout à fait à l’opposé, accolé au Bengladesh, dans le delta du Bengale, se situe le parc de la biosphère des Sundarbans, l’une des plus grandes forêts de mangroves de la planète. À côté des tigres qui ont su s’adapter à cet écosystème unique et exigeant, on y trouve une incroyable avifaune, ainsi que le crocodile marin, le plus grand représentant de son espèce, alors que les dauphins du Gange évoluent non loin de là, dans les eaux douces du fleuve sacré. En remontant vers la chaîne himalayenne, dans le parc de Kaziranga, les berges du Brahmapoutre offrent le spectacle saisissant de vastes étendues humides peuplées de rhinocéros unicornes, de buffles d’eau, de cerfs-cochons, de cerfs barasinghas et d’éléphants. Dans les sanctuaires à proximité, on peut aller à la rencontre des fameux gibbons Houlocks et espérer assister à l’envol des incomparables calaos à cous roux et calaos bicornes.
Les États himalayens tels que l’Arunachal Pradesh et le Sikkim dans le Nord-Est, ou l’Uttarakhand, l’Himachal Pradesh et la région du Ladakh dans l’État du Jammu-et-Cachemire au nord-ouest ne sont pas en reste et possèdent une faune et une avifaune comportant des espèces rares dont l’observation relève parfois plus de l’expédition dans des conditions extrêmes que des traditionnels safaris. Avec un peu de chance et beaucoup de patience, vous pourriez apercevoir le « fantôme des cimes », ou panthère des neiges, dans le parc national d’Hemis ou bien dans le sanctuaire de vie sauvage de Kibber. Vous pourriez aussi croiser la route de bovidés caprins ou caprinés tels que le goral, le bharal, l’urial du Ladakh, l’argali tibétain, le thar et le serow himalayens, l’ibex, le takin ou encore le markhor ou bien observer l’antilope ou la gazelle tibétaine ou encore le surprenant renard des sables du Tibet. Parmi les espèces les plus emblématiques figurent le petit panda ou panda roux et des espèces de faisans tels que le célèbre monal himalayen au plumage unique aux couleurs métallisées ou le trapogan satyre à la tête d’un bleu vif et au torse écarlate. L’âne sauvage, ou kiang, occupe quant à lui les hauts plateaux du Ladakh tandis que les chameaux de Bactriane sont le témoignage vivant des anciennes routes de la soie.
À mesure que l’on se dirige vers le sud pour rejoindre les forêts subtropicales, on pénètre le territoire de félins aux habitudes nocturnes comme la panthère nébuleuse (ou longibande), le chat doré aux robes très variées ou encore le chat « léopard » du Bengale, et d’autres petits carnivores comme la civette himalayenne ou les martres à gorge jaune.
Les ours noirs à collier et ours bruns himalayens nous rappellent quant à eux que l’ours lippu (ours à longues lèvres) n’est pas le seul représentant indien des grands ursidés.
Au sud, dans les Ghats occidentaux, à côté des espèces courantes comme le bison indien (ou gaur) et le chien sauvage indien (ou dhole), se dissimulent dans la canopée des macaques à tête de lion, des langurs des Nilgiris, ou encore les écureuils géants indiens.
Cet impressionnant réservoir d’espèces doit composer avec une pression anthropogénique sans cesse croissante qui se traduit par une disparition progressive des habitats naturels et la menace d’une déforestation incontrôlée. Face aux arguments tenant aux impératifs de développement économique de l’Inde (ses besoins en infrastructures linéaires de transport et d’énergie, en industrie, en agriculture…), le potentiel économique du tourisme animalier, aux côtés du garde-fou législatif, peut jouer le rôle de rempart en incitant les décideurs à engager plus facilement dialogues et concertations sur l’opportunité des projets.
Protection des espèces menacées : Le rôle du tourisme
La création des réserves de tigres s’est accompagnée d’investissements massifs pour se doter de moyens de protection efficaces (patrouilles et camps anti-braconnage, surveillance avec des tours caméras et des drones dans le Rajasthan…) tout en essayant, dans certains cas, de s’appuyer sur des partenariats avec les communautés locales. Et les aménagements réalisés pour l’accueil des touristes peuvent bénéficier à l’ensemble des aires protégées, notamment celles très majoritaires en superficie qui demeurent inaccessibles aux touristes et où les animaux jouissent d’une tranquillité totale. Près d’un demi-siècle après le lancement du Tiger project, on constate que les réserves où les structures d’accueils sont quasi inexistantes correspondent aux habitats les plus précaires pour la faune avec, bien souvent, des activités et occupations illégales en plein cœur des aires protégées et l’existence d’un braconnage rampant.
Le tourisme, dans la mesure où il vient supporter les projets menés avec les communautés locales, s’avère indirectement profitable au maintien, voire à la restauration, des populations d’espèces menacées, comme ce fut le cas, par exemple, pour les rhinocéros de l’Assam ou les lions du Gujarat. Mais il ne constitue en aucun cas le remède miracle aux menaces qui continuent de peser sur la biodiversité. Pour mener à bien les programmes de conservation, le modèle économique des parcs et réserves reste en effet largement subventionné.
Tourné vers les jeunes générations, il constitue un formidable outil d’éducation et de sensibilisation à travers la présentation des différentes espèces et des habitats dans lesquels elles survivent. Des camps nature pour enfants sont ainsi organisés par l’État du Karnataka dans le parc national de Bannerghatta qui présente la particularité d’associer un parc zoologique et une réserve naturelle sur une superficie de 260 km². Pour emporter l’adhésion des communautés tribales aux programmes de conservation bien souvent générateurs de contraintes et de restrictions pour ces derniers, le département des forêts va à la rencontre des écoliers. Des visites spéciales leur sont proposées car aussi étonnant que cela puisse paraître, les habitants les plus proches des parcs sont aussi ceux qui ont le moins l’occasion de rencontrer la faune pour des moments « récréatifs ».
Réconciliation homme-espaces naturels : Du tourisme « business » aux pratiques vertueuses
La réserve de tigres de Ranthambore dans le Rajasthan et ses centaines d’hôteliers amassés à Sawaï Madhopur pour remplir jeeps et canters qui se lancent chaque jour à l’assaut des zones ouvertes au public, constitue l’exemple d’un tourisme animalier qui tend malheureusement vers le tout business. On est très loin de l’image idyllique d’une aventure permettant de découvrir l’intimité à peine troublée d’animaux sauvages, ce qui est regrettable au vu des atouts extraordinaires de ce site grandiose conjuguant biotope et espèces des contrées d’Inde de l’Ouest avec le somptueux décor de la forteresse rajpoute classée au patrimoine mondial. La course à la rentabilité pousse certains à aller toujours plus loin pour satisfaire leurs clients, quitte à s’affranchir des règles élémentaires de sécurité (vitesses excessives sur les pistes, distances minimales avec les animaux non respectées…) et de bien-être des animaux (attroupement de véhicules autour des animaux…).
Pourtant, cela ne doit pas occulter les efforts remarquables déployés par le département des forêts du Rajasthan pour la protection et la restauration de conditions favorables dans les zones du sanctuaire de Sawaï Mansingh désormais intégrées à la zone centrale, ce qui a permis un accroissement rapide et inédit de la population de tigres sur l’ensemble de la réserve.
Aux antipodes de ce modèle, se trouvent des parcs comme celui de Kanha dans le Madhya Pradesh, qui misent sur un tourisme responsable et respectueux des aires visitées. Un système de rotation des guides est mis en place afin que chacun puisse travailler et la vitesse des jeeps est strictement limitée (20-25 km/h). Même si les concentrations de véhicules existent pour tenter d’apercevoir le félin aux rayures, elles n’ont pas l’ampleur de celles constatées dans les zones centrales de réserves comme Tadoba Andhari, au Maharashtra, et il est toujours possible de privilégier les itinéraires moins fréquentés pour espérer s’offrir un tête-à-tête magique avec le maître des lieux.
Faire découvrir des animaux moins stressés au comportement naturel et créer des conditions idéales pour des projets de conservation, voilà le pari gagnant de la direction du parc. Diverses structures hôtelières accueillent différents types de visiteurs, qui sont invités par des ONG locales à découvrir les traditions, la cuisine et l’artisanat local des tribus baiga et gond, dont les villages ont été déplacés à l’extérieur du cœur de la réserve. Les relations des autorités indiennes avec ces populations autochtones semblent s’être progressivement normalisées après des évictions aux modalités très controversées. Le tourisme n’est peutêtre pas étranger à l’amélioration de la situation en procurant aux communautés, sur le long terme, de légitimes compensations (emplois, vente de l’artisanat local, etc.).
Une tendance se dégage depuis quelques années avec la création un peu partout d’établissements mettant en avant une démarche axée sur l’immersion en milieu naturel. L’hôtel Vanghat (qui signifie « forêt de la vallée ») situé le long de la rivière Ramnagar dans le sanctuaire de Kalagarh intégré à la réserve Jim Corbett dans l’Uttarakhand en est un bel exemple. Y demeurer quelques jours donne la possibilité de vivre des expériences inoubliables en côtoyant les animaux au plus près lors d’approches à pied, et en observant la faune des forêts du Teraï (éléphants, cerfs, léopards et tigres) et himalayenne, composée de caprinés, tels que les gorals ou serows, mais aussi de nombreux oiseaux aux plumages multicolores.
Dans la réserve de tigres de Biligiri Rangaswamy Temple, au Karnataka, l’écolodge Gorukana tenu par une ONG locale, VGKK, permet de s’imprégner des ambiances des forêts sacrées de la tribu soliga dans des cottages issus d’un travail d’écoconception privilégiant l’utilisation de matériaux locaux.
Le soir venu, les cris d’alarme des munjacs précèdent le rugissement du tigre qui rode à proximité des habitations. Tôt le matin, un guide naturaliste propose de partir observer les nombreux oiseaux ou, lorsque l’occasion se présente, de suivre les traces des tigres ou des léopards entendus la nuit précédente. À quelques centaines de mètres à peine, sont établis les hameaux des Soligas et les équipements publics mis en place par VGKK fournissant à la communauté un accès à la santé, à l’éducation et à la formation professionnelle pour garantir une autosuffisance des moyens de subsistance.
En frange de la réserve de tigres de Mudumalaï dans l’État voisin du Kerala, sur les contreforts des Nilgiris, le Jungle Hut, situé dans le district de Masinagudi, constitue un magnifique écrin pour les ornithologues désireux d’observer l’exceptionnelle avifaune d’Inde du Sud. Les paysages de toute beauté et la sérénité qui se dégage des lieux incitent à prolonger le séjour.
Quels modèles de développement pour un tourisme responsable et raisonné ?
Dans son article de 2018 « Tendances et voies de développement de l’écotourisme en Inde », Priyadarshini D. (avocate indienne passionnée de faune indienne) considère que le secteur, basé sur des créations d’emplois à faible niveau de qualification et porté par une croissance annuelle de l’ordre de 9 % entre 2012 et 2021, offre de belles perspectives, à condition de rester fidèle aux principes de protection de l’environnement et de la faune, de faire participer les communautés locales, de favoriser un développement socioéconomique et de renforcer l’éducation des populations.
Selon elle, actuellement, les structures touristiques présentent des bénéfices limités pour la conservation et les communautés locales, les lignes directrices fixées par la National Tiger Conservation Authority en faveur du développement de l’écotourisme étant restées au stade de la déclaration d’intention faute de s’appuyer sur des études sérieuses démontrant la viabilité économique de ce modèle. Il manque des propositions concrètes pour une meilleure information des clients et un décolage des investissements. Les investissements ont tendance à se concentrer sur les réserves dont la rentabilité à court terme est acquise. Pour les autres, les moyens à mettre en œuvre pour se doter d’infrastructures de transport et d’accueil, pour sécuriser les zones, pour restaurer des populations d’ongulés et pour créer des partenariats équitables avec les communautés locales dissuadent les acteurs du tourisme de se lancer.
Sans complaisance, l’étude exorte à une évolution du comportement des clients, qui doivent jouer un rôle clé dans l’émergence d’une nouvelle forme de tourisme en sachant discerner les établissements qui se réclament faussement de labels d’écotourisme. La traçabilité des revenus issus du tourisme est aussi bien souvent en question, notamment concernant les sommes reversées aux programmes de conservation ou en faveur des communautés locales.
On assiste régulièrement à une mobilisation de la société civile indienne notamment par le biais d’associations, pour mettre fin à certaines pratiques néfastes. Ont été ainsi supprimés dans la réserve de Bandhavgarh, les tiger shows qui consistaient à repérer un tigre paisiblement couché pour y conduire à dos d’éléphants des dizaines, voire des centaines, de touristes avides de clichés faciles. La Cour suprême indienne a récemment ordonné la destruction d’hôtels illégalement implantés dans des corridors de migration d’éléphants dans le sud de l’Inde. Des règles plus strictes ont été mises en place avec l’aide du personnel pour éviter les incidents mortels liés aux selfies dans la réserve de Periyar, la plus fréquentée d’Inde du Sud. Les horaires et les amplitudes des saisons d’ouverture des zones touristiques des réserves, ainsi que le volume des véhicules autorisés sont en cours de discussion au regard des conclusions d’études menées sur l’incidence de la pression touristique sur le comportement et le bien-être des animaux.
Au Karnataka, un homme, le colonnel John Félix Wakefield, a été à l’origine de la création d’une chaîne unique d’écolodges, les Jungle Lodges & Resorts, affiliée au département des forêts et détenue par l’État. Ces établissements sont implantés dans les principaux sites donnant accès aux splendeurs du Karnataka sauvage. S’adressant aux amoureux de la faune mais également à un plus large public à la recherche d’activités ludiques à pratiquer en pleine nature, ils invitent à partager la vision d’un tourisme à l’impact minimisé sur l’environnement qui s’efface devant une nature souveraine. Selon le contexte des lieux, des approches à pied, en bateau ou en jeeps sont proposées aux visiteurs pour aller à la rencontre d’un vivier impressionnant d’espèces. Dans un secteur où les intérêts privés peuvent rapidement mettre en péril l’équilibre des écosystèmes en présence, ce modèle de gestion étatique est une belle réussite qui assure au département des forêts des recettes supplémentaires dont une partie pourra directement être affectée aux activités quotidiennes de gestion des parcs ou aux programmes de conservation et travaux de recherches.
Comment réinventer notre relation à la faune ?
Les réserves de tigre sont la vitrine du tourisme animalier indien, c’est pourquoi la NTCA a été chargé d’évaluer tous les 4 ans les performances managariales des différentes réserves dans le rapport Management Effectivness Evaluation of Tiger Reserves in India. Basée sur une analyse combinant 32 critères pour une plus grande pertinence, un classement des 50 réserves du pays a été établi pour la première fois au terme du 4e cycle d’évaluation achevé en 2018. Les conclusions du rapport doivent permettre de définir les axes d’amélioration à suivre pour chacune d’entre elles, notamment dans la mise en œuvre des préconisations du guide d’octobre 2012 sur le développement du tourisme. En dépit de l’effort louable, les passages consacrés au sujet restent relativement succincts tant certaines réserves sont confrontées à des problèmes majeurs de sécurisation et de restauration des habitats favorables à la faune, ainsi qu’à un manque d’infrastructures. Mais dès lors que les conditions d’accueil des visiteurs seront réunies, elles auront l’opportunité d’accompagner une mutation du modèle touristique vers une approche plus respectueuse des écosystèmes à préserver.
Est-il plus important d’observer à n’importe quel prix les animaux dans leur milieu naturel au risque de dénaturer progressivement celui-ci ou bien de le préserver en simplement recherchant à ressentir les forces immanentes aux forêts indiennes et aux êtres vivants qui les peuplent à travers les sons, les empruntes, les odeurs et les atmosphères incomparables qui se dégagent des lieux ? Ce qui pourrait d’ailleurs conduire à une rencontre aussi forte qu’elle est rare et fugace.
Dans une société de consommation immédiate, cette seconde approche peut sembler frustrante, mais elle ouvre, en fait, vers des niveaux de compréhension infiniment plus valorisant. La faune sauvage indienne appartient à un monde secret où la plupart des êtres vivants s’évertuent à mettre en place des stratégies d’évitement pour préserver l’intimité de leur existence. Le tigre solitaire ne fait pas exception. Il est donc important de perturber le moins possible ses habitudes au risque d’induire l’apparition de comportements déviants de nature à augmenter les risques de conflits avec les hommes.
Des initiatives sont mises en place pour une prise de conscience comme par exemple la publication d’un petit guide ludique intitulé Stop! Don’t Shoot Like that — A Guide to Ethical Wildlife Photography par Shekar Dattatri et Ramki Sreenivasan. L’objectif est d’informer les touristes, dessins sarcastiques à l’appui, sur les règles à observer au contact des animaux sauvages durant les visites pour instaurer une dynamique de respect mutuel.
Certaines réserves cèdant à la pression de la compétition, envisagent de mettre en place des mesures radicales pour attirer toujours plus de visiteurs. Ainsi, la célèbre réserve de tigres de Corbett dans l’Uttarakhand a-t-elle défrayé la chronique en envisageant de créer un immense enclos dans une des zones périphériques du parc afin de garantir à chaque visiteur la vision d’un tigre lors de son séjour.
Corbett qui est un véritable joyau du Teraï indien possède des espaces naturels d’une beauté rare. C’est la vision de l’immensité sauvage de la plaine de Dikhala qui conquiert le cœur des visiteurs. Pourquoi vouloir travestir cet héritage inestimable en y intégrant les caractéristiques d’un vulgaire parc animalier d’attraction ? Formulons le vœu que les Indiens, et en particulier les jeunes générations, continuent encore longtemps à veiller jalousement sur leur patrimoine naturel et à faire obstacle aux projets qui menacent les fondements des rapports singuliers et étroits qu’ils ont su tisser au fil des siècles avec la grande famille du vivant.