Le marché indien de l’aéronautique de défense

La France aux avant-postes ?

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August 24, 2019

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Indes

juillet septembre 2019



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L’Inde, aux importants besoins, est un marché cible dans le secteur de l’aéronautique. Si la concurrence est forte, notamment face au fournisseur historique russe, la France bénéficie de quelques atouts pour participer au « Make in India », notamment avec le contrat Rafale, mais celui-ci est également source de turbulences sur un vol au long cours.

L ’Inde et la France sont deux partenaires de longue date – ils ont fêté le vingtième anniversaire de leur partenariat stratégique lors de la visite d’État d’Emmanuel Macron en Inde en mars 2018 – et ils renforcent régulièrement leur coopération en matière de défense. S’il est un domaine qui suscite particulièrement l’intérêt des deux pays, il s’agit de celui de l’aéronautique, dans lequel la relation a débuté dès les années 1950. Et cette convergence d’intérêts pourrait augurer de nouvelles possibilités commerciales entre les deux États. Si les déboires de l’affaire Rafale a provoqué quelques turbulences, les acteurs français ont cependant su s’imposer sur le marché indien et pourraient encore développer leurs activités sur ce marché cible aux besoins immenses.

Un marché indien attractif et concurrentiel

Si l’Inde s’est fait ravir la première place par l’Arabie saoudite, elle est tout de même le second plus grand pays importateur d’armement au monde, sur la période 2014-2018, selon le SIPRI (le centre de recherche indépendant Stockholm International Peace Research Institute). Elle a d’ailleurs encore augmenté ses dépenses de 3,1% pour atteindre près de 59,5 milliards d’euros en 2018, devenant ainsi le quatrième pays le plus dépensier au monde en matière de défense selon la dernière étude du SIPRI. Ces données indiquent également que le principal poste de dépenses dans les importations d’armement indiennes est celui des avions.

Avec près de la moitié de son matériel vieillissant et obsolète, l’Inde connaît d’importants besoins, en particulier en ce qui concerne sa flotte d’avions, d’hélicoptères et de drones, que ce soit pour l’armée de l’air ou la marine. Ainsi, par exemple, la marine indienne a lancé un appel d’offres pour 111 hélicoptères, ainsi qu’un autre pour 57 chasseurs embarqués. Quant à l’armée de l’air indienne, elle a lancé, en avril, un nouvel appel d’offres pour 114 avions de combats.

Mais sur ce marché attractif, les entreprises françaises doivent faire face à une rude concurrence notamment avec le fournisseur historique de l’Inde, la Russie, qui reste un acteur incontournable. Selon l’indicateur de valeur du SIPRI, la France, dans le peloton de tête des exportateurs mondiaux d’armement, est le quatrième exportateur d’armement en Inde sur la période 2014-2018, après la Russie, Israël et les États-Unis, mais depuis 2016, elle se place à la troisième place chaque année. De plus, toujours selon l’indicateur de valeur du SIPRI, sur la période 2014-2018, l’Inde est le deuxième récipiendaire des exportations d’armement françaises, après l’Égypte.

Le porte-avions indien INS Vikramaditya

Le porte-avions indien INS Vikramaditya

La condition d’accès au marché : le « Make in India »

Les objectifs de développement de la base industrielle et technologique de défense (BITD) indienne affichés par Narendra Modi sont ambitieux. Ils visent notamment une production locale de 70% du matériel militaire dans les dix ans et sa transformation en une plateforme de MRO (maintenance, réparation et révision) d’ici 2022. Pourtant, aujourd’hui, 70% de ses besoins sont pourvus par des importations et le secteur du MRO est encore à un stade naissant dans le pays.

Cependant, en raison des besoins urgents de l’armée et des faiblesses de l’industrie indienne, le développement de celle-ci passe par des réformes favorisant aussi les industriels étrangers. En effet, les blocages induits par les règles protectionnistes couplées au manque de relais locaux permettant d’atteindre le montant des offsets (compensations industrielles) requis, conduisaient à des achats sur étagère et à la stagnation de l’industrie indienne.

Il était donc important de favoriser les investissements, la formation de coentreprises et les transferts de technologie dans le cadre de l’initiative « Make in India ». Les seuils d’investissements directs étrangers (IDE) autorisés ont donc été relevés et la nouvelle DPP 2016 (Defense Procurement Procedure ou procédure d’acquisition du matériel de défense), régulant notamment les offsets, a engagé des réformes, en particulier pour faciliter les procédures et renforcer les entreprises nationales privées, PME et ETI (entreprises petites, moyennes et intermédiaires), avant d’être révisée, notamment en 2018 et 2019, afin de davantage simplifier et accélérer les procédures d’acquisition.

Cette politique, présentée comme une stratégie « gagnant-gagnant », doit permettre au tissu industriel indien de se développer, de bénéficier d’investissements et de transferts de technologie et également, aux industriels étrangers d’accéder à ce marché et de développer leurs capacités de production ainsi qu’une politique d’exportation compétitive.

L’avion de combat Jaguar de l’Indian Air Force; Une usine Safran; Le sommet du GIFAS en Inde, 2018.

Rencontre entre le GIFAS et la SIDM en Inde, 2018.

« L’investissement patient » des entreprises françaises

Plusieurs acteurs français bénéficient déjà d’une présence de longue date sur le territoire indien et comptent aujourd’hui capitaliser sur cet ancrage. Depuis 1953, et le Toofani, Dassault équipe l’armée de l’air indienne avec ses différentes générations d’avions. Depuis 60 ans, Safran, lui, est devenu le fournisseur d’une large part des centrales inertielles pour les aéronefs indiens et de moteurs (pour 65% de la flotte d’hélicoptères et d’avions de l’armée indienne) accompagnés de services de MRO, quand Thales s’est forgé une place de leader dans la haute technologie (électronique, avionique embarquée, radars…).

En outre, de nombreuses initiatives ont été prises pour développer les relations franco-indiennes dans ce domaine. Le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales, ou GIFAS, syndicat professionnel regroupant quelques 400 entreprises du secteur, est particulièrement actif. Il est d’ailleurs aujourd’hui pourvu d’un bureau de représentation à Delhi (depuis décembre dernier) et d’un comité GIFAS Inde. Ces mesures font suite à la mission industrielle en Inde que le GIFAS a organisée en avril 2018, consistant notamment, pour la soixantaine d’entreprises représentées, en des rencontres officielles, des séminaires et des rencontres bilatérales avec les acteurs indiens. Cette mission a débouché non seulement sur un accord entre le GIFAS et son partenaire indien, la SIDM (Society of Indian Defence Manufacturers), pour promouvoir coopération et partenariats franco-indiens, mais également, sur l’implantation en Inde d’une quinzaine de ses membres, que ce soit par la mise en place de nouveaux sites industriels, de coentreprises ou de bureaux de représentation, a souligné le président du GIFAS, Éric Trappier dans une entretien à Air&Cosmos.

Comme lors de cette mission économique, les différentes initiatives tentent de mettre l’accent sur les PME et ETI, les sous-traitants, permettant d’offrir les services à tous les échelons de la chaîne logistique aéronautique. Et en effet, on note de nouvelles réussites dans ce domaine, avec, par exemple, l’ouverture de l’usine indienne de Turgis et Gaillard Industries, impliquée notamment dans la production des Falcon 2000 et des Rafale dans la foulée de la mission de 2018, ou encore, plus récemment, l’ouverture d’une nouvelle coentreprise par ABC, compagnie de Châtellerault de bancs d’essai pour l’industrie aéronautique et automobile à Hyderabad, ville où s’est également implanté Ametra avec le partenaire local Nucon Aerospace, pour la production d’éléments électroniques.

« L’Inde est le pays de l’investissement patient » comme l’a rappelé l’ambassadeur de France en Inde, Alexandre Ziegler, aux entrepreneurs français, lors de la mission de 2018 du GIFAS. À l’instar de Dassault Aviation, les acteurs du secteur ont clairement identifié l’Inde comme une cible et font des efforts d’implantation industrielle, d’investissements, notamment dans des joint-ventures, et de transferts de technologie dans le pays, afin de construire une relation de long terme et de répondre à la politique du « Make in India ».

Le contrat Rafale de 2016 donne une longueur d’avance aux entreprises françaises qui multiplient les investissements liés aux offsets qui s’élèvent à près de 4 milliards d’euros. Et au premier chef, Dassault Aviation associé à Reliance dans la très polémique co-entreprise DRAL ou Dassault Reliance Aerospace Limited (voir l’encadré : « La saga Rafale : Attractions et turbulences ») dont l’usine de Nagpur devra assurer l’assemblage complet du Falcon 2000 et sa mise en vol. Répondant également aux impératifs des offsets, l’entreprise Safran, déjà implantée à Bengaluru va, quant à elle, ouvrir une nouvelle usine pour la production de pièces de turbine pour le moteur Leap, dans l’État du Telangana, avec un investissement de 36 millions d’euros. Des investissements que les entreprises françaises, tout comme leurs concurrents, proposent de développer encore davantage dans le cadre des appels d’offres.

Ce lien fort et cette attractivité dans le secteur de l’aéronautique ont encore été démontrés par la participation d’une importante délégation française lors de l’édition 2019 du salon Aero India, qui s’est tenu du 20 au 24 février à Bengaluru. La France avait la plus forte représentation étrangère sur le salon, avec 49 entreprises des secteurs de l’aéronautique civil et militaire, de la défense et de l’aérospatial présentes, au nombre desquelles ABC, Dassault, Pinette Emidecau, Rafaut, Safran ou encore Thales. Cette délégation était conduite par Éric Trappier, président du GIFAS. L’ambassadeur de France, Alexandre Ziegler, et le directeur du développement international de la direction générale de l’armement (DGA), le général Thierry Carlier, ont également visité le salon. Cet événement a été l’occasion de faire des démonstrations avec notamment 3 Rafale de l’armée de l’air française, et d’exposer un avion d’affaires Falcon 2000S, un Falcon 8X, un Airbus A330-900, un Airbus C295, des hélicoptères H135 et H145 d’Airbus ou encore la première pointe avant de Falcon 2000 construite par la coentreprise DRAL.

Du 17 au 20 juin 2019, c’était au tour des Indiens, avec de nombreux officiels et représentants d’entreprises, et notamment une délégation de la SIDM, d’être reçus notamment par le GIFAS dans le cadre d’événements, et d’assister à la 53e édition de la grandmesse de l’aérospatial au Bourget, le Salon international de l’aéronautique et de l’espace.


La saga Rafale : Attractions et turbulences

rafale

L’appel d’offre de 2007 suscitait toutes les convoitises et les rivalités et a été suivi d’une victoire du Rafale, mais celle-ci est bientôt avortée, avant un nouveau retournement de situation et, de nouveau, de grands espoirs, avec le contrat de 2016. Retour sur la saga du contrat Rafale.

L’appel d’offre MMRCA (Medium Multi-Role Combat Aircraft) lancé en 2007 par l’Inde, remporté par le groupement d’intérêt économique (GIE) Rafale en 2012, a fini par avorter en 2015. La vente des 126 appareils aurait achoppé sur les conditions de transfert de technologie, avec différentes parties françaises qui auraient refusé d’endosser la responsabilité des avions produits en Inde, le choix des sous-traitants ne leur revenant pas.

Mais afin de répondre aux besoins urgents de l’armée, c’est finalement un contrat d’achat sur étagère de 36 Rafale, d’un montant d’environ 8 milliards d’euros, stipulant des offsets de 50% – 20% des composants fabriqués en Inde et 30% en investissements de recherche, avec une liberté quant au choix des partenaires – qui a été signé en 2016. Dassault dit ne pas voir ces compensations comme des contraintes mais, au contraire, comme une opportunité de renforcer son implantation en Inde et de placer le GIE en bonne position pour de nouvelles négociations.

Si effectivement, la mise en œuvre des offsets permet aux différentes entreprises françaises, des grands donneurs d’ordre aux sous-traitants et PME, de s’implanter en Inde et de développer leurs partenariats, atout non négligeable sur ce marché, il n’en est pas moins que la polémique autour de ce contrat est venue, un temps, assombrir les espoirs de nouveaux contrats Rafale. Rahul Gandhi, chef du parti d’opposition du Congrès, a en effet accusé le gouvernement de Narendra Modi de n’avoir pas respecté les règles de procédure d’acquisition de matériel de défense, de manquer de transparence sur un contrat dont il considère le prix trop élevé, et d’avoir favorisé l’entreprise Reliance d’Anil Ambani, réputé proche du Premier ministre, dans le choix du partenaire de Dassault et bénéficiaire principal des offsets, au détriment du groupe public HAL (Hindustan Aeronautics Limited), impliqué dans les premières négociations. Une série de révélations et scandales se sont succédés durant les mois précédant l’élection, allant des déclarations de l’ancien président français, François Hollande, sur le fait que ce partenaire avait été imposé, aux révélations du Monde sur l’annulation par l’État français d’une dette fiscale de 143,7 millions d’euros d’une entreprise appartenant au groupe Reliance Communications en 2015, au moment où se déroulaient les négociations de la vente des 36 avions Rafale à l’Inde. Cependant, ces scandales et les allégations du parti du Congrès n’ont pas pénalisé Narendra Modi lors des dernières élections générales qu’il a largement remportées, et le Rafale reste sur les rangs, notamment pour l’appel d’offre portant sur 114 avions de combat supplémentaires.

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