Tensions en Assam après la publication de la liste finale du Registre des citoyens

Des apatrides en Inde

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September 2, 2019

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Indes



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La liste définitive du Registre national des citoyens (NRC ou National Register of Citizens) en Assam a exclu 1,9 million de personnes. Le destin de ces nouveaux apatrides est incertain et le gouvernement pourrait découvrir qu’il a ouvert la boîte de Pandore avec ce registre.

La liste finale du Registre national des citoyens (NRC) en Assam (État du Nord-Est de l’Inde), publiée le 31 août, a identifié environ 31,1 millions de résidents comme des citoyens légitimes alors que 1,9 million de requérants ont été exclus de cette liste.

La liste du NRC comprend les noms de tous les gens qui ont été en mesure de fournir une preuve de leur citoyenneté dans le cadre du mécanisme surveillé par la Cour suprême. Afin de prouver leur citoyenneté, les habitants de l’Assam devaient montrer des documents prouvant soit qu’eux-mêmes ou que leurs ancêtres étaient nés dans cet État avant minuit le 24 mars 1971, soit le jour précédant la déclaration d’indépendance du Bangladesh se séparant du Pakistan. La liste est le résultat de ce qui a été qualifié de plus grand exercice du pays pour se débarrasser des immigrés illégaux bangladeshis, ainsi que leurs descendants.

Durant les 120 prochains jours, ceux qui n’ont pas été retenus sur la liste définitive du NRC devront s’adresser aux tribunaux pour les étrangers (FT). Plus de 200 nouveaux FT ont été ouverts à travers l’État dans ce but. Et si une personne est insatisfaite de la décision de ce tribunal, elle peut faire appel de cette décision. Cependant, ces tribunaux pour les étrangers ne sont pas tenus par du personnel judiciaire qualifié, et, autre grande inquiétude pesant sur l’exactitude de l’exercice est que, contrairement à la jurisprudence classique, la charge de la preuve incombe à la personne considérée comme résident illégal, ce n’est pas à l’État de prouver l’illégalité.

De plus, à peu près de la même manière que ce qui a été fait aux États-Unis, les personnes déchues de leur droit sont placées dans des camps de détention installés dans tout l’État. Aujourd’hui, il existe six centres de détention en Assam : Goalpara, Dibrugarh, Jorhat, Silchar, Kokrajhar et Tezpur, où les prisons de district ont été transformées en camps. Il s’agit en effet de prisons retenant quelque 2 millions de personnes qui pourraient rester enfermées des années, le temps que les cours de justice ou le gouvernement ne décident de leur sort.

Une procédure viciée

Selon presque toutes les ONG travaillant à l’assistance des personnes, l’ensemble de la procédure établissant le NRC est vicié. Ils expliquent qu’il existe de nombreux problèmes avec le type de documents demandés pour prouver la citoyenneté ainsi qu’avec les erreurs administratives de transcription de noms. C’est un challenge pour les plus démunis non seulement en Assam mais également partout en Inde dans la mesure où ils sont dépendants des papiers délivrés par le gouvernement pour l’identification et tout autre démarche administrative. La majorité des requérants sont non seulement illettrés mais manquent également de documents et n’ont pas les moyens pour voyager loin, jusqu’au lieu de dépôt des réclamations, précisent les ONG. En outre, très étrangement, même ceux qui sont parvenus à être inscrits sur la liste peuvent se retrouvés exclus simplement en raison d’une plainte de quelqu’un d’autre. Selon certains activistes, quelques milliers de personnes ont été exclues sur la base de plaintes de petits groupes de personnes qui ne sont pourtant pas liées à elles. Ils accusent des membres du parti de droite au pouvoir, le Bharatiya Janata Party (BJP), de déposer des plaintes visant les minorités ethniques et religieuses afin de les exclure du NRC. Si les exclus de l’ébauche de liste s’étaient vus donner 120 jours pour pouvoir faire appel, les représentants du gouvernement disent aujourd’hui que les exclus de la liste définitive auront 10 mois pour faire appel auprès des cours. Mais cela ne fera que repousser l’inévitable, car on pense que la liste contient de nombreuses erreurs, y compris des erreurs administratives d’entrée des données ou de vérification des données.

Selon Nadeem Khan, un activiste de United Against Hate (UAH), une équipe travaillant à la recherche des faits dans la crise en Assam concernant la mise à jour du NRC : « Ceux qui ne sont pas inclus dans cette liste peuvent faire appel auprès des tribunaux pour étrangers. Mais le problème est que ces tribunaux sont partiaux. Ils manquent de juges qualifiés et ont des standards de recrutement très bas. Et la majorité des gens vivent sous le seuil de pauvreté, comment pourraient-ils faire appel devant ces tribunaux ? »

Bien d’autres organisations ont questionné ce mécanisme et notamment la possibilité pour les cours de fonctionner correctement dans un si court délai d’appel. Outre ces problèmes, la question qui se pose est celle du sort de ceux qui ne peuvent pas prouver leur identité. Les activistes ont peur que les personnes exclues ne soient enfermées en prison ou déportées, avec la déchéance de leur droit de vote et de leurs autres droits civils. Le gouvernement a déjà annoncé son plan de construction de dix centres de détention supplémentaires. Près de 1 000 personnes sont actuellement détenues dans six centres situés dans différentes prisons de districts. Les militants estiment qu’étant donné que l’Inde n’a pas soulevé la question de l’expulsion avec le Bangladesh, les gens pourraient être détenus « indéfiniment » dans ces centres.

Étonnamment, même la Cour suprême indienne a approuvé les mesures suspectes du gouvernement indien de vérification de citoyenneté avec des procédures qui ne sont pas sujettes à contrôle. 

Un dilemme moral

Selon une enquête du National Campaign Against Torture (NCAT), environ 89% des 4 millions de personnes initialement exclues de l’ébauche de liste du Registre national des citoyens en Assam, ont souffert de torture mentale extrême en raison de la peur d’être marquées comme étrangères et des conséquences s’ensuivant.

Le NCAT a conduit une étude de terrain sur la santé mentale des exclus du NRC dans les districts de Baksa, Goalpara and Kamrup, du 16 au 20 juillet. Le rapport, intitulé Assam’s NRC: Four Million Tales of Mental Torture, Trauma and Humiliation, explique qu’ils ont souffert d’une extrême anxiété due à la peur de l’expulsion et de la séparation avec les membres de la famille ainsi que du manque d’argent permettant d’aller devant la cour des étrangers ou la haute cour de Guwahati et la Cour suprême.

L’association spécialisée dans les droits de l’enfant basée en Assam, Universal Team for Social Action and Help (UTSAH), a averti de l’impact psychologique du NRC sur les enfants et a demandé aux autorités de ne pas les traiter comme des « dommages collatéraux » de ce coûteux exercice.

Le rapport du NCAT a aussi pointé qu’une torture mentale extrême avait conduit au moins 31 personnes au suicide depuis juillet 2015. « Les gens sont dans un état de panique et il n’y pas eu un seul mot de soutien de la part du gouvernement, ni la moindre indemnisation. Avec le nombre croissant des cas de suicide rapportés dans différentes parties de l’État et de personnes déjà dans des centres de détention, il semble qu’il y ait peu d’espoir dans cette bataille légale » ajoute Nadeem Khan.

Suggestion ou avertissement du gouvernement ?

Après la sortie de la liste définitive du NRC, le député (MP) BJP Pravesh Verma et le président du BJP de Delhi, Manoj Tiwari, ont demandé la mise en place du NRC dans la capitale nationale et l’expulsion des « Immigrés illégaux ». De la même manière, le député (MLA) BJP, Raja Singh, a demandé sa mise en œuvre dans l’État du sud, le Telangana. « Les parlementaires d’#Hyderabad ont donné un abri à trop de bangladeshis et de #Rohingyas afin de récupérer des votes. Cela devrait être mis en place à partir du 17 septembre le #jour de la libération d’Hyderabad, » a tweeté ce dernier, visant apparemment un important député musulman de la ville.

Le dirigeant BJP et ministre des Finances de l’État d’Assam, Himanta Biswa Sarma, a déclaré que la liste qui excluait plus de 1,9 million de personnes était « erronée » car « plus de migrants illégaux auraient dû être exclus » et que le combat du parti pour « exclure chaque étranger » de l’État continuerait.

Même si le gouvernement explique que les exclus ont des options légales, non seulement auprès des FT mais aussi des hautes cours, il s’agit d’une faible consolation pour ceux qui se sont retrouvés écartés en premier lieu en raison du manque de papiers, de soutien ou même de ressources financières permettant de quitter le travail et de se rendre auprès des cours ou des instances gouvernementales qui se trouvent souvent à un jour de voyage de leurs maisons.

En raison de la situation délicate, les mesures de sécurité ont été renforcées et des ordres de restrictions ont été instaurés dans des zones vulnérables de l’Assam, notamment dans la capitale Dispur et la voisine Guwahati, la plus grande ville du Nord-est de l’Inde.

De nombreux politiciens de l’opposition accusent le gouvernement BJP dirigé par le Premier ministre Narendra Modi de viser spécifiquement les musulmans et les minorités ethniques au travers différentes actions menées ces dernières années. Juste après la sortie de la liste finale du NRC, le leader du Congrès Shashi Tharoor a cité Rabindranath Tagore en déclarant : « ‘’Il y a une ligne fine entre le nationalisme et la xénophobie – de plus, la haine des étrangers peut rapidement conduire à la haine des Indiens différents de soi.’’ – La prescience d’un grand homme ! »

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