A la bonne grâce des étoiles…

Dossier

December 1, 2015

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Indes

Novembre-Décembre 2015



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Un Inde pour s’assurer d’un mariage long et heureux, on ne laisse rien au hasard. Un astrologue réputé pourra garantir une union harmonieuse, prospère et féconde grâce à l’étude approfondie de la compatibilité entre deux horoscopes. Une activité lucrative qui en dit long sur les idéaux du mariage hindou.

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En Inde, le présent et le futur ne sont pas du domaine de l’aléatoire mais obéissent à un ordre caché ; on ne plaisante pas avec son destin ! Consulter un astrologue est une démarche extrêmement courante. De nombreuses familles ont un astrologue attitré et n’envisagent pas de commencer un nouveau projet ou de se lancer dans un achat important sans le consulter. Il en va de même pour les hommes politiques, les stars de cinéma et même certains entraineurs sportifs.

Les jyotishis – littéralement « seigneurs de la lumière » – ne sont pas d’anecdotiques prédicateurs mais des intermédiaires déterminants entre les astres et les êtres humains. Si un homme d’entreprise est prêt à suivre l’avis d’un astrologue pour investir dans un nouveau business, imaginez donc le rôle décisif du sage dans le choix d’un conjoint.

Ce mardi matin, la salle d’attente de M. Nair est déjà pleine. A l’entrée de son domicile, situé dans un beau quartier résidentiel de l’Inde du sud, il a aménagé une grande véranda avec du mobilier en rotin. Dans cet espace simple et accueillant, des hommes et des femmes attendent leur tour, anxieux, mais pas vraiment embarrassés de se trouver à cet endroit. Ils attendent des réponses et des solutions concrètes à des problèmes du quotidien : « Pourquoi mon fils ne réussit-il pas dans ses études ? », « Pourquoi est-ce que je n’obtiens pas une promotion? », « Est-ce-que mon mari va guérir ? »…

Une recherche orientée

Pourtant, aujourd’hui, c’est Mme Prakash qui a la priorité. Le rendez-vous a été pris la veille et sa demande est de la plus haute importance. Mme Prakash s’occupe du mariage de son petit-fils, Vaishak. C’est un brillant jeune homme de 25 ans qui sort d’une prestigieuse université de droit. Après un stage d’une année en Angleterre, il a intégré depuis quelques mois un cabinet réputé de Mumbai. Il a donc l’âge de se marier d’autant que le temps est compté. Selon les données de son horoscope personnel, il n’aurait qu’une année et demie pour trouver sa promise et se marier. Sinon, il devra attendre plus de 8 ans la prochaine période favorable. Avec l’accord de son petit-fils, la respectable grand-mère est donc déterminée à trouver dès que possible la jeune fille idéale. Mais avant même de rencontrer physiquement l’une ou l’autre des candidates au mariage, il convient d’établir son profil astral et de déterminer ensuite si celui-ci est compatible avec celui du jeune homme. C’est uniquement si la compatibilité est avérée qu’un éventuel rendez-vous pourra être organisé.

Debout sur le pas de sa porte, M. Nair ne ressemble en rien à l’image que l’on se fait a priori du mage indien. Pas de cheveux longs, de barbe ni de vêtements particuliers, cet homme plutôt petit reçoit chaleureusement Mme Prakash. Sur un ton amical, ils échangent des nouvelles de leurs proches. Puis chaussant ses lunettes, le vieil homme au sourire engageant, s’assoit derrière un large bureau de bois encombré de dossiers et de traités d’astrologie, et sur lequel trône un ordinateur récent. Mme Prakash, impatiente, lui remet une feuille de papier sur laquelle sont notés les dates, lieux et horaires de naissance de 3 jeunes candidates.

En sage moderne, M. Nair s’aide d’un logiciel pour définir la place des astres lors de la naissance de la première jeune fille. Il établit son Raasi Chakra qui se présente sous la forme d’un carré fait de douze cases dans lequel il inscrit l’emplacement des planètes. Ces 12 subdivisions ou « maisons » se rapportent à différents évènements ou domaines de la vie mais aussi à plusieurs parties du corps ainsi qu’à diverses relations sociales. Chaque maison est placée sous l’influence directe d’un astre dominant et d’autres qui peuvent également l’occuper. Elle est en outre affectée par l’influence indirecte des astres présents dans les autres maisons.

Le Jyotisha mêle astrologie et astronomie, « un peu comme l’anatomie et la médecine, tente M. Nair. Les deux sont indissociables ». Dans les védas, le Jyotisha ne s’articulait qu’autour de l’étude de la lune et de vingt-sept constellations et il n’était utilisé que pour déterminer les dates propices aux sacrifices. Puis la traduction des traités grecs s’y est ajoutée, débouchant sur la théorie actuelle de l’horoscope qui repose sur les positions des planètes dans un zodiaque à douze signes. Le Jyotisha est considéré comme une science à part entière en Inde et il est d’ailleurs enseigné à l’université.

Après seulement une dizaine de minutes d’observation planétaire, l’astrologue révèle une quantité de choses sur le caractère de la jeune fille : ses prédispositions, ses rapports avec sa famille, ses périodes de chances, le nombre d’enfants qu’elle aura … Effectivement, si l’instant précis de la naissance est si déterminant, on comprend mieux les calculs poussés de certaines femmes pour tomber enceinte au moment propice. Plus extrême encore, dans certains milieux aisés, des parents vont jusqu’à « provoquer » l’accouchement par césarienne au jour et à l’heure jugés « auspicieux » par le sage consulté…

Les idéaux du mariage

L’astrologue procède ensuite au calcul de compatibilité des horoscopes aussi appelé Kundali match. Pour cela, il utilise la méthode du Ashta-Kuta qui consiste à s’intéresser à 8 ou 10 domaines particuliers, les Kutas ; ils permettent de comptabiliser des points, des Gunas. Sur un total maximum de 36 points, on considère qu’un mariage sera compatible à partir de l’obtention de 18 points.

M. Nair explique de façon schématique les caractéristiques essentielles qu’il étudie. Ces éléments nous révèlent les aspects qui, en Inde, sont considérés comme propres à un mariage harmonieux. – Séparation, mort, divorce : si la différence de durée de vie entre les deux individus est trop importante ou si un signe planétaire évoque une rupture ou un grand changement, alors, le mariage est exclu. Rien n’est pire, en Inde, que de perdre sa moitié … Au-delà de la peine individuelle, c’est l’équilibre du groupe tout entier qui est mis en danger puisque les tâches de soutien et de perpétuation dévolues au couple marié ne peuvent plus être accomplies.

– Compatibilité des caractères et des physiques pour engendrer de l’affection et éventuellement de l’amour. Il faut comprendre qu’en Inde, le couple est essentiel. Même les dieux sont mariés. A l’image de Radha ou Krishna, de Parvati ou de Shiva, ils forment une unité charnelle et spirituelle. L’amour est valorisé mais ne se conçoit qu’après le mariage. C’est également le cas de l’entente sexuelle qui est aussi très sérieusement étudiée et prise en compte par l’astrologue et qui peut rapporter jusqu’à 4 points sur les 18 minimum nécessaires.

S’il est essentiel, le rôle de la femme dans le couple est toutefois subalterne : elle doit servir et aider son mari à s’acquitter de ses devoirs. Logiquement la recherche de compatibilité se fait en fonction de ces exigences. On valorisera ainsi un caractère féminin doux, patient, travailleur, respectueux, dévoué et fidèle. De même, une épouse plus jeune ou physiquement plus petite et plus mince, voire moins qualifiée, est préférable.

– Naissance des enfants : c’est un critère fondamental qui constitue l’un des objectifs du mariage. Un couple stérile est considéré comme un couple inutile. Les jeunes mariés se doivent d’engendrer plusieurs enfants et de préférence des fils qui à leur tour prendront en charge la famille, accompliront les rites funéraires à la mort de leur père et perpétueront le culte des ancêtres et des dieux. D’ailleurs, Mme Prakash rejette immédiatement la candidature d’une des trois jeunes filles lorsqu’elle apprend que la malheureuse n’aura probablement qu’un seul enfant et qui plus est, sur le tard !

– Bonne santé et chance : l’astrologue recherche si l’un des deux partenaires sera atteint d’une grave maladie ou sera victime d’un accident au cours de sa vie. Si c’est le cas, point de compassion, le mariage sera évité. Plus globalement, l’astrologue étudie comment, une fois unis, l’homme et la femme vont mutuellement s’influencer et si, ensemble, ils seront porteurs de joie et de félicité. La future belle-fille s’acclimatera-telle bien à sa nouvelle famille ? Apportera-telle joie et fortune dans sa nouvelle maison ? Car s’il est vrai que la jeune mariée doit respect et soumission à sa belle-famille, elle possède néanmoins, à l’image de la déesse Lakshmi, le pouvoir de favoriser bonheur, chance et fortune.

– Stabilité financière : en Inde, le mariage est non seulement une histoire de dharma mais aussi de profit matériel. Les exigences économiques ne sont pas critiquées, au contraire, elles sont considérées comme parfaitement légitimes. Puisque le couple marié est censé subvenir aux besoins de son clan – financement des études des plus jeunes, soutien des membres plus âgés qui ne travaillent plus – l’aspect économique est extrêmement important. Aussi les compétences des candidates, leurs perspectives de carrière, leur relation à l’argent et les fortunes familiales sont-elles longuement scrutées par le sage M. Nair.

Idéalement, Mme Prakash souhaite une bru dont la famille serait légèrement plus fortunée que la sienne. Sinon, la jeune fille devra avoir de bonnes prédispositions commerciales. Son petit-fils est moderne et il souhaite partager sa vie avec une épouse qui travaille. Les calculs de compatibilité prennent environ 15 minutes à M. Nair, soudain silencieux et concentré. Après une série de questions précises, un seul profil satisfait finalement Mme Prakash. Elle est contente et même un peu émue car lors de sa dernière visite, pas une seule jeune fille n’avait obtenu le score minimum.

Tous les espoirs sont désormais permis même si Mme Prakash soumettra d’autres horoscopes pour avoir un choix plus large. Après tout, son petit-fils n’est pas Manglik, ces malheureux handicapés de l’horoscope, nés au moment où la planète Mars se situait dans une mauvaise maison… Pour eux, le mariage est extrêmement compliqué car ils ont la terrible réputation d’avoir une influence négative sur leur conjoint, de provoquer le malheur, la maladie ou la mort. Suivant les recommandations de ses astrologues, la célèbre actrice de Bollywood Aishwarya Rai, malheureuse Manglik, a dû se marier avec des arbres, un figuier puis un bananier, et multiplier les pujas dans la ville sacrée de Varanasi afin de conjurer le sort et pouvoir finalement convoler en justes noces avec son humain de mari, Abhishek Bachchan.

Une activité lucrative

Le Jyotisha mêle ainsi astronomie, ésotérisme et religion et les jyotishis sont à la fois des conseillers, des guides et des gourous. Astrologues, devins, babas, gourous, fakirs, certains acquièrent une telle réputation que les gens traversent le pays tout entier pour les rencontrer. Ils font l’objet d’un véritable culte et il faut parfois plusieurs mois pour obtenir un rendez-vous. D’autres animent des programmes télévisés tandis que les derniers rédigent des articles ou bien ouvrent des sites Internet.

La frontière entre le conseiller et le maître à penser est parfois bien mince et certains astrologues ne se privent pas d’artifices rocambolesques pour asseoir leur autorité et leur prestige.

Comme tous les domaines de la vie sont concernés par l’astrologie, les affaires marchent bien. Mme Prakash paye l’équivalent de 50 euros à M. Nair pour son analyse. Ce n’est pas grand-chose quand on considère qu’une seule consultation chez un astrologue plus célèbre peut se chiffrer en milliers d’euros. Pour les gens moins fortunés, d’autres solutions existent : les consultations sur Internet, la voyance par téléphone et par réception de textos sont en plein boom. Astrologie, tarot, rune, numérologie, chiromancie… La voyance en Inde est une industrie qui rapporte plusieurs milliers d’euros.

D’autant que la plupart du temps, l’astrologue ne se contente pas de donner une réponse. Il apporte une solution qui sera, elle aussi, payante : offrandes, pierres protectrices, amulettes, talismans, rituels en présence de l’astrologue… La liste est longue et nécessite toujours un échange d’argent.

 

L’astrologie avec perroquet

L’astrologie avec perroquet

Pour le mariage, une fois le couple assorti et les négociations entre les deux familles terminées, on fait de nouveau appel à l’astrologue qui doit déterminer la date et l’heure précise de la cérémonie, le Mahurat. Ces paramètres doivent être choisis avec soin pour s’assurer une nouvelle fois d’une union longue et heureuse. Même si les horoscopes sont compatibles, si le mariage ne débute pas au moment le plus auspicieux, alors des obstacles inattendus pourraient subvenir et l’harmonie serait trompeuse.

Des voix s’élèvent de plus en plus en Inde pour dénoncer certaines formes de superstitions jouant sur les angoisses et la crédulité des gens. Plus éduquée, la jeune génération est moins versée dans l’ésotérisme et se montre beaucoup plus critique même si le poids des traditions est encore important. Au moment clé de leur vie, les jeunes gens, hésitants, se laissent facilement convaincre : « On ne perd pas grand-chose alors dans le doute… » Seuls les mariages dits « d’amour » échappent au Kundali match. Ils représentent moins de 18% des 10 millions de mariages célébrés par an en Inde.

Le mariage en Inde représente de tels enjeux que Mme Prakash sourit, effarée à l’idée que le choix d’un conjoint puisse être délégué à une seule personne. « Les jeunes gens ne peuvent pas choisir par eux-mêmes : ils manquent totalement de lucidité ! », dit-elle. Mme Prakash ne se considère pas comme une personne superstitieuse mais face à une telle responsabilité, elle « cherche à s’entourer de conseils afin de faire le meilleur choix possible pour le bonheur de sa famille. »

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