La « french farm»

Un coin de France en Inde

Dossier

April 2, 2015

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Indes

mars-avril 2015



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Un coin de France en Inde

Ancien militaire, Roger Langbour a créé une ferme à la française aux portes du Rajasthan, à une centaine de kilomètres de Delhi. Aujourd’hui, il est reconnu à juste titre comme un pionnier de la culture « bio » en Inde.

Reconnaissez qu’ici on ne se croirait pas en Inde ! » Roger Langbour y tient beaucoup, sa ferme, c’est d’abord un petit coin de douce France. Au détour des allées détrempées par les pluies qui se sont abattues sans crier gare sur le nord de l’Inde début mars, des parfums familiers titillent les narines : du thym, de la sauge, de la marjolaine, du basilic… Roger froisse entre ses doigts quelques feuilles arrachées à un citronnier, libérant une odeur enivrante. « Ces citrons là, ils sont comme en France, très gros ! », lance le « fermier français ». On en trouve rarement en Inde, il est vrai, et ils n’ont rien à voir avec les nimbu, ces petits citrons ronds, délicieux eux aussi au demeurant.

Mais voilà, à la « french farm », on est à la recherche d’un univers culinaire hexagonal qui passe par des herbes, des salades, de l’oseille, du cresson. Un tas de végétaux souvent méconnus en Inde… où ils poussent très bien.Et, bien sûr, sans engrais chimiques. Car Roger Langbour le dit sans fausse modestie, il fut « un pionnier de la culture bio », un concept aujourd’hui très en vogue en Inde, mais qui ne l’était guère lorsqu’il a installé son domaine en 1994. « Je n’ai pas besoin de mettre un label, on sait bien que je n’achète jamais d’engrais », dit-il. Pestant contre tous ceux qui, à présent, « prétendent vendre bio alors que leurs fruits et légumes sont gorgés de pesticides ». Lui-même a fait les frais de ces pratiques peu scrupuleuses. « J’avais un distributeur à Delhi, qui écoulait notamment mes volailles. Un jour, je me suis aperçu qu’il mettait les étiquettes de mes produits sur de la viande provenant d’ailleurs », raconte-t-il.

Depuis, il vend essentiellement aux particuliers. La plupart d’entre eux passent leurs commandes à l’avance et sont livrés à domicile. Les tournées ont lieu à New Delhi et à Gurgaon, ville satellite où s’installent de plus en plus d’entreprises. Et il n’y a pas que la communauté française qui s’intéresse à la « french farm ». « Je commence à avoir une clientèle japonaise, ce sont de gros acheteurs », se réjouit l’exploitant agricole. Nombre de restaurateurs sont bien sûr attirés par les produits de la ferme, mais officiellement, il n’a le droit de vendre ni aux magasins, ni aux hôtels. Pour cela il lui faudrait un Tax-Payer Identification Number (TIN) et, à 73 ans, il n’a pas du tout envie de se lancer dans les démarches administratives pour l’obtenir. Alors, les établissements qui sont vraiment intéressés viennent à la ferme avec leur cuisinier qui fait lui-même son « shopping » dans le grand jardin de Roger.

 

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Travail et volontarisme

Pour faire naître ce potager, qui n’a rien à envier à ceux des contrées plus tempérées, il a fallu beaucoup de travail et une bonne dose de volontarisme. La ferme se trouve à Bilaspur, à une centaine de kilomètres du centre de Delhi, et aux portes du Rajasthan, connu pour son aridité et son climat extrême. Cette année, l’hiver a été particulièrement long et rigoureux au nord de l’Inde.Tamariniers, figuiers, abricotiers… Certains arbres en portent les stigmates, lançant vers le ciel des branches que l’on dirait de bois mort.« Encore quelques semaines et ils vont reverdir, affirme Roger rassurant. Mais c’est vrai qu’ils reviennent de loin ». Des pluies se sont invitées hors saison et l’été pourrait bien être caniculaire.

Poursuivant son tour du propriétaire, le « french farmer » nous emmène à présent voir les animaux. Après le potager, voici les poules, dont des Mulberry, les coquelets d’Italie, les pintades,les gros canards de Pékin au plumage blanc, ou encore ceux de Barbarie, plutôt foncés, les cochons, les couvées… La « french farm » n’a rien à envier au Petit Trianon de Marie-Antoinette ! A notre arrivée, les pintades roucoulent avec suffisance ; les coqs qui arborent un superbe plumage multicolore se dressent sur leurs ergots ; les lapines aux yeux rouges jettent un regard jaloux sur leur toute nouvelle progéniture, encore enveloppée dans une sorte de cocon blanc fait des poils de leur mère mêlés à de la paille.

Mais le clou chez Roger, ce sont toujours les cochons ! D’énormes animaux bien roses, d’une propreté irréprochable. Les premiers porcs ont été importés en 2004. Curieux, un gros cochon du Yorkshire nous observe à travers le grillage, avec son nez en trompette et ses oreilles bien droites.

Parcours original

« Nous élevons 300 cochons ; nous en tuons entre 7 et 8 par semaine », indique Roger. Et pour cause, depuis quelques années, il s’est lancé dans la charcuterie. Sur sa « shopping list » on trouve désormais du jambon, du pâté de campagne, du pâté de tête, des saucisses, des merguez, voire des crépinettes sur commande. Il devrait bientôt avoir une machine à emballage sous vide, ce qui lui facilitera considérablement la tâche. « La congélation reste difficile en Inde, chez moi comme chez les autres producteurs », reconnaît Roger.

Aujourd’hui, 22 personnes travaillent à la ferme. Biswa, son manager- « mon bras droit » comme dit Roger -, l’aide aussi bien dans la gestion des commandes que dans celle du personnel. Des barbecues sont organisés à la demande autour de la piscine et l’on peut aussi venir déjeuner sous la tonnelle. Mais comment devient-on « french farmer » en Inde ? Le parcours de Roger Langbour est original. A priori, rien ne destinait ce militaire de carrière à devenir exploitant agricole en Inde. Il a fait une campagne à Djibouti, de 1966 à 1968, raconte-t-il. De retour à Paris, il n’a qu’une envie, repartir à l’étranger. Mais le ministère est formel, pour cela, il faut passer le « concours des ambassades ». Il se met à l’anglais, fait des séjours en Grande-Bretagne pour se perfectionner. En 1974, il est reçu au concours et se voit offrir un poste au bureau militaire de New Delhi. Il y restera jusqu’en 1978. « L’Inde était alors bien différente ! Quant à Delhi, n’en parlons pas », dit-il en riant.A l’issue de son mandat, de nouveau, il n’a pas envie de retourner en France et préfère démissionner.

Il veut monter quelque chose en Inde, mais ses idées sont encore floues. Un premier projet de ferme tourne court, faute d’avoir trouvé le bon partenaire, dit-il. En fait, il réalise vite qu’il n’est guère armé pour réussir dans la production agricole. Alors, il rentre quand même au pays pour apprendre.« Je dois tout à une famille d’agriculteurs vendéens, affirme-t-il. Ils m’ont tout appris durant mon séjour chez eux au lieudit Le Boupère». Fort de ses nouvelles connaissances, il revient en Inde où il achète un terrain quasiment en friche en 1994. L’aventure du « french farmer » peut commencer.

 

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