Alice Gauny, Alliance Française de Trivandrum
Parcours d’une jeune directrice d’Alliance Française pleine d’énergie et de détermination, à Trivandrum, dans le Kerala.
« Bonjour… Bonjour… » Une grande jeune femme aux cheveux courts et à l’allure sportive accueille les enfants qui se pressent à l’étage d’une grande bâtisse aux couleurs vives, pour participer aux « cours d’été » de l’Alliance Française de Trivandrum, dans le Kerala (Sud). Dans cet élan joyeux, Alice Gauny, la directrice, nous entraîne dans une visite des lieux : quatre salles de classes, une salle d’exposition de bonne dimension – qui présente le travail de l’artiste kéralais Seby Akkara, – une terrasse couverte, une bibliothèque avec un espace coloré et amusant dédié aux enfants, quelques bureaux et un petit café accueillant, dont les murs sont recouverts des affiches des événements culturels passés.
Autour d’un café noir, cette énergique trentenaire se souvient de ses premiers mois à la tête de ce centre culturel et linguistique à la pointe sud de l’Inde : « Tout était différent, exotique, sympathique ». En fait, ce brouhaha et ce méli-mélo lui plaisent et la changent radicalement de ses deux années passées à Melbourne, en Australie, comme directrice des cours de français. Par chance, sa triple formation de médiathécaire, professeur de français langue étrangère (FLE) et médiatrice culturelle, – autant que ses précédentes expériences, à Madagascar et à Cebu, aux Philippines, – l’ont bien préparée à ce poste polyvalent, qui exige une sacrée dose de curiosité, de disponibilité et d’inventivité.
S’adapter aux imprévus
Passée l’euphorie des premiers mois, la jeune femme comprend en effet qu’il va lui falloir composer avec un environnement et des façons de faire hétéroclites.
Le premier défi est de faire face aux imprévus : Alice ne compte plus les retards d’avion des artistes, les coupures d’électricité impromptues, les essais son de dernière minute, quand les premiers spectateurs sont déjà dans la salle, les inscriptions faites cinq minutes avant le début d’une session de cours ouverte deux mois à l’avance… « Cela oblige à déployer une énergie folle et il est parfois difficile d’arriver à ses fins », explique-t-elle.
Dans l’État du Kerala, qui ne compte pas plus de 100 français résidents, c’est aussi la seule Française à la tête d’une petite équipe locale d’une vingtaine de personnes, dévouées mais aux formations et aux attentes disparates. Par chance, le comité de l’Alliance, localement élu, soutient ses actions et l’encourage à sa manière.
Figure de proue du navire, en plus d’en être le capitaine, Alice doit répondre à de multiples sollicitations : remises de diplômes dans les universités, interventions dans des forums, visites d’écoles… Elle s’oblige à être présente à tous les événements de promotion de l’Alliance Française. Car son rôle est bien de gérer une vraie petite entreprise, dont la survie dépend des recettes des cours de français.
Il faut donc constamment former des professeurs de bon niveau et partir à la conquête de nouveaux publics : « S’il y a un intérêt migratoire à apprendre le français (principalement vers le Québec), les étudiants recherchent surtout une plus-value dans une visée professionnelle. (…) D’autres ont juste un désir fort d’apprendre quelque chose de nouveau », explique-t-elle. En Inde, l’obtention d’un diplôme est déterminante. On ne peut donc pas s’éloigner d’un cursus bien défini, par niveau A1, A2, B1, B2, etc. qui mène à l’obtention du DELF et du DALF.
Néanmoins, les méthodes d’apprentissage des Alliances sont très différentes de la pédagogie locale et cela aboutit parfois à des situations cocasses. « Nous assurons un apprentissage par immersion linguistique et nous encourageons fortement la participation active de l’apprenant », dit-elle. Parler de soi en public, se mettre en scène, converser avec quelqu’un du sexe opposé… Des actions pas si évidentes pour des étudiants d’âges et de milieux sociaux et professionnels différents, réunis dans une même classe.
Un espace Campus France à Kochi
« La réaction du public est la meilleure récompense. » Alice l’a bien compris, c’est justement ces approches différentes et novatrices qui rendent l’Alliance Française populaire : « Ici, nous proposons de vivre une expérience. C’est un lieu différent, un lieu des possibles… »
Elle apprécie de voir les étudiants s’attarder après les cours, ou s’impliquer dans la préparation de journées dédiées : la Fête de la Francophonie, la Fête de la Musique, autant d’occasions pour ces jeunes gens de se rencontrer librement !
Déterminée, la jeune directrice s’est aussi battue pour l’ouverture d’un Espace Campus France à Kochi, la grande ville portuaire du Kerala, où l’Alliance Française possède une annexe. Un prolongement logique à l’étude de la langue française pour un certain nombre de jeunes étudiants.
« L’une des missions des Alliances dans le monde est d’encourager le dialogue des cultures et de favoriser une meilleure compréhension réciproque », ajoute-t-elle. Un défi relevé avec succès, grâce à un environnement favorable. Si le Kerala est un État indien plutôt conservateur, ses habitants n’en demeurent pas moins curieux et avides de nouveautés. Depuis sa création en 1980, l’Alliance Française de Trivandrum est connue pour être un centre culturel très actif : « Nous avons entretenu de nombreux partenariats car il existe ici une vraie demande », souligne Alice. Souvent sollicitée par des artistes ou par des partenaires privés et publics, l’institution n’hésite pas à sortir de ses murs et le public se déplace souvent nombreux aux différentes manifestations proposées.
Quels sont les échanges les plus marquants de cette programmation chargée ? « BUDDHA the why within, un spectacle de danse contemporaine, une coopération franco-indienne qui a subjugué le public », répond sans hésiter Alice. « La venue de l’artiste Marko 93 qui a organisé un atelier de ‘light painting’ et qui a peint sur la façade de l’Alliance une fresque encore visible », ajoute-t-elle.
Les débats d’idées baptisés « Focus » remportent aussi un franc succès. Quoi de plus satisfaisant que de voir converser des groupes de populations rarement en contact sur des sujets aussi variés que le changement climatique, l’architecture durable ou les droits des homosexuels.
Quelle enrichissement !
Avec près de 800 inscriptions par an et une quinzaine d’actions culturelles par trimestre, Alice admet s’être énormément impliquée dans son travail, au point d’avoir parfois laissé sa vie personnelle de côté, mais en échange de quel enrichissement ! Ses rares périodes de repos, elle les passe à retrouver son petit groupe d’amis, à faire du sport et surtout à voyager… Découverte de la diversité des États indiens, rencontre avec ses collègues du réseau français à l’étranger, qui forment un groupe solidaire ; et une à deux fois par an, retour en France, auprès de ses amis et de sa famille qui sont heureux, en retour, de lui rendre visite et de profiter des beautés du Kerala.
A quelques mois de la fin de son contrat, est-ce l’heure du bilan ? Non, pas encore ! L’infatigable trentenaire se prépare à inaugurer les nouveaux locaux de l’annexe de Kochi : quatre salles de cours flambant neuf, un hall-bibliothèque… de quoi faire prospérer l’Alliance et lui assurer un bel avenir.
Et ensuite ? Un passage par la France, peut-être un break de quelques mois pour un stage intensif de yoga, ou l’acquisition d’un niveau de plongée… Rien de précis encore… des idées et de l’action surtout, pour cette jeune femme entreprenante qui s’imagine mal se « poser » un jour : « J’aime trop cette vie de nomade. »
On la retrouvera probablement dans un autre poste, à l’étranger. Et pourquoi pas à nouveau en Inde ? « C’est un pays qui marque et malgré les difficultés, je sais que j’aurai beaucoup de mal à partir ; ça ne sera sûrement pas un adieu. »
Le réseau des Alliances françaises en Inde
Fondé en 1883, le réseau des Alliances Françaises s’est peu à peu étendu dans le monde, avec aujourd’hui 1 100 structures actives et dynamiques. Les Alliances sont des associations régies par les lois locales : l’administration des affaires est assurée par un comité exécutif élu. Un directeur et parfois d’autres coordonnateurs français, chargés de mettre en oeuvre la politique de l’établissement, sont désignés et rémunérés par le gouvernement français.
La Fondation Alliance française, basée à Paris, contribue à unifier les missions des Alliances qui sont de :
. développer dans le monde l’enseignement et l’usage de la langue française ;
. contribuer à accroître l’influence intellectuelle et morale de la France et l’intérêt pour toutes les cultures francophones ;
.favoriser les échanges entre cultures et contribuer en général à l’épanouissement de la diversité culturelle.
Le réseau français en Inde est l’un des plus importants au monde, avec 13 Alliances réparties sur tout le territoire et, à l’étude, l’ouverture d’une quatorzième Alliance dans l’Etat de l’Uttar Pradesh (Nord), à Lucknow ou à Varanasi.
En Inde, le réseau des Alliances possède une bonne cohérence, notamment grâce au soutien de l’Ambassade de France en Inde et au travail de coordination de l’Institut Français de Delhi, qui aide financièrement les projets et propose son expertise dans les domaines culturels et linguistiques.
Ces institutions proposent différents examens de l’Alliance Française de Paris, du Ministère de l’éducation nationale (DELF et DALF) et de la Chambre de Commerce et d’Industries de Paris (CCIP), dont les diplômes sont reconnus internationalement. Elles sont aussi appuyées par Campus France, – une agence placée sous la tutelle du Ministère français des Affaires Étrangères et Européennes et du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, – qui a pour but de promouvoir les formations supérieures françaises dans le monde et d’offrir aux étudiants étrangers un accès aux études supérieures en France. En 2012, 2600 étudiants indiens se sont rendus en France pour un séjour d’études.