Du fromage « made in India »
Indes
septembre-octobre 2017
Du paneer au kalari, l’Inde produit un grand nombre de fromages végétariens. En voici quelques variétés locales délicieuses, bien que peu connues.
Bien que plus grand producteur de lait au monde, l’Inde n’a jamais été réputée pour ses fromages, à l’exception du paneer, fromage au lait de bufflonne ou de vache. Une des raisons en est peut-être que la fabrication des fromages occidentaux requiert de la présure, enzyme extraite de la paroi stomacale obtenue par l’abattage d’un veau. Les producteurs ne pourraient alors apposer l’étiquette « végétarienne » sur leurs produits, ce qui aurait un impact considérable sur les ventes. En effet, sur le milliard d’habitants en Inde, une grande partie préfère manger végétarien, et ce, principalement pour des raisons religieuses.
Amul a été la première coopérative locale à produire du fromage industriel en Inde au début des années 1960. La présure remplacée par la culture microbienne dans la fabrication du cheddar et de la mozzarella, ces fromages sont ensuite vendus sous forme de cubes, de blocs, en tranche ou à tartiner. Toutefois, tout en répondant au besoin croissant des consommateurs, la production industrielle fait de l’ombre aux fromages d’origine indienne produits dans des régions reculées, typiques des saveurs locales.
« L’Inde est l’un des premiers pays à avoir mis au point une méthode très sophistiquée de conservation du beurre, 2000 voir 3000 ans avant l’Europe, mais elle n’a pas su développer sa culture du fromage », souligne Will Studd, spécialiste mondial reconnu du fromage, dans un documentaire tourné lors son voyage à Kolkata (Est) dans lequel il explore les origines du paneer.
Plongée au cœur des variétés locales
A ce jour, le paneer, fromage frais traditionnel, reste la plus prisée et la plus consommée des variétés fromagères indiennes. Préparé à base de jus de citron et le lait, ce fromage est 100% végétarien. Avec des raisins pour une collation, ou des fines herbes et une pincée de chat masala (mélange d’épices) pour une délicieuse salade, le paneer se cuisine de mille façons. Il existe des variantes du paneer traditionnel comme le topli nu paneer. Traditionnellement inventé par la communauté parsie en Inde, il est pressé dans de petits paniers pour lui donner du volume, alors que le surti paneer, préparé à base de lait de bufflonne, est affiné pendant un long moment dans du petit-lait.
Autre variété de fromage : le chhenna. Peu d’Indiens savent que leurs friandises favorites, comme le chhenna murgi, est en fait à base de fromage. Bien que d’une composition identique à celle du paneer, lait de vache ou de bufflonne, le chhenna diffère dans sa fabrication : il est pétri après caillage et égouttage jusqu’à obtention d’une pâte épaisse. Le chhenna est largement utilisé dans la préparation des confiseries traditionnelles comme le rasgulla, le ras malai ou le sandesh.
Le kalimpong est une variété originaire de la région montagneuse éponyme du Bengale Occidental (Est). Savoureux encas, sa texture friable en fait l’ingrédient idéal des salades et le rend facile à étaler sur du pain grillé. « La première fois que j’ai goûté le ‘kalimpong’, c’était à l’orphelinat du Dr. Graham (Dr. Graham’s Homes) à Kalimpong, il y a presque douze ans. Je me souviens de mon impatience à y goûter car il ressemblait fortement au gruyère qu’on voyait dans ‘Tom and Jerry’. Si sa couleur n’était pas violente, son odeur et son goût l’étaient assurément. Il m’a fallu du temps pour m’habituer à sa texture granuleuse. Pourtant, au fil des années, je m’y suis fait, et j’en grignote de temps en temps. Je le préfère avec du ‘chhurpi achaar’, sorte de saumure traditionnelle des montagnes du Bengale. La plupart des gens préfère le ‘paneer’ normal, mais une bouchée de ‘kalimpong’ vous emmène dans une autre dimension », témoigne Ayush Chatterjee, un habitant de Kolkata, la capitale du Bengale Occidental.
L’Etat produit une autre célèbre variété de fromage, le bandel. Fabriqué dans la ville éponyme, à quelque 50 kilomètres au Nord de Kolkata, on le trouve sous deux variantes – le blanc et le brun. Salé pour sa conservation, ce fromage doit être trempé dans l’eau toute la nuit pour pouvoir être consommé le lendemain. Le bandel est souvent râpé pour donner aux salades et aux pâtes une saveur unique.
Le chhurpi est un fromage à pâte dure traditionnellement produit dans les régions montagneuses de l’Etat du Sikkim (Nord-Est) ainsi qu’au Népal et au Tibet tout proches. On distingue le chhurpi doux, préparé à base de lait de vache, du chhurpi dur au lait de yaks et conservé dans le mongnang, la peau de l’animal. « Bien qu’assez cher, le ‘chhurpi’ est considéré comme un mets de choix. On veille à ce qu’il soit toujours présent lors des repas de mariage. On le hache avec de la coriandre pour en faire des chutneys (sauces), à savourer longtemps après leur préparation. Accompagné de tranches de radis, le ‘chhurpi’ se conserve délicieusement en saumure. Mais, le ‘chhurpi’ dur n’est pas accessible à tous. Il est produit à des altitudes élevées. Le ‘chhurpi’ doux, quant à lui, est souvent utilisé dans nos cuisines », explique Diki, habitante du Sikkim.
Surnommé « la mozzarella du Kashmir », le kalari est un fromage artisanal de l’Etat du Jammu et Kashmir (Nord). Préparé traditionnellement par les tribus gujjar de la région de l’Himalaya, ce fromage en forme de disque et légèrement aigre, est l’ingrédient de base de plusieurs plats typiques de la région. « Le ‘kalari’ est le fromage le plus célèbre du quartier d’Udhampur à Jammu. Le ‘kalari kulcha’, sorte de sandwich au fromage vendu par les marchands ambulants, est un plat très prisé des habitants. Dans les rues de Jammu, les stands de nourriture et de thé servent des galettes de ‘kalari’ frites à l’huile, entre deux tranches de pain, assaisonnées de sel, de poudre de piment rouge, accompagnées de chutney rouge et vert », explique Sushil, originaire de Jammu. Et d’ajouter, « Le ‘kalari’ est largement utilisé dans les préparations culinaires. Comme les ‘pakoras de kalari’, boulettes de fromage enveloppées de farine de pois chiche et frites qu’on mange chaudes avec le thé. »
Autre spécialité fromagère des régions éloignées des gujjar, le qudam, ce fromage à pâte molle et friable est légèrement salé au goût. Bien que de longue conservation, le qudam ne se trouve pas facilement en magasin.
Une demande en hausse
Bien qu’Amul reste leader sur le marché du fromage industriel indien, la demande de fromage naturel est en pleine croissance. Le fromage n’est plus l’apanage des seuls restaurants français chics et couteux, il s’est rapidement inscrit aux menus des pizzerias et des restaurants populaires. Toutefois, les turophiles indiens, notamment ceux qui ont voyagé à l’étranger ou ont eu l’occasion de goûter d’authentiques fromages français ou italiens, recherchent une saveur comparable à domicile.
Hormis la fabrication des célèbres Gouda, Camembert et Brie, certaines fermes indiennes ont aussi inventé leurs propres variétés de fromage. Par exemple, la ferme Cheese, située à Pondicherry, fabrique du jeera, du lofabu (sorte de Gouda) assaisonné de graines de cumin. Il est fréquemment servi lors de cocktails, sur des plateaux de fromage ou fondu pour agrémenter un plat. Le pondicherri, compact et pâteux, conservé dans des feuilles de curry, est produit par la Mango Hill Cheese, également basée à Pondicherry. Variante du Camembert original, le Camembay (Bombay + Camembert) a été inventé par la Spotted Cow Fromagerie et s’inspire de la texture lisse et crémeuse du fromage français. Autre création, le Bombrie (Bombay + Brie) est également en vente à l’usine.