Rajkot, au cœur des « cent royaumes »
Dans la région de Saurashtra, fameuse des siècles durant pour ses innombrables et riches royaumes, Rajkot a beau être une grande ville moderne du Gujarat, à l’Ouest de l’Inde, elle est aussi un condensé de cultures et de traditions de la région: des plats relevés aux fameuses danses folkloriques, en passant par les couleurs chatoyantes des tissus noués bandhani, rien ne manque pour goûter à l’hospitalité locale.
Rajkot, dans l’Etat du Gujarat, à la pointe Ouest de l’Inde, est nichée dans la légendaire région de Saurashtra, qui veut dire « cent royaumes » en hindi car elle abritait autrefois de nombreux territoires royaux. A première vue, la ville, l’une des plus importantes de cet Etat au développement dynamique, ressemble aux autres métropoles indiennes, avec ses grands embouteillages, son manque d’espaces ouverts et sa profusion de marques de luxe essaimant dans de nouveaux et énormes centres commerciaux.
Mais lorsqu’on prend le temps d’explorer davantage Rajkot, en particulier sa vieille ville, on découvre alors une multitude de trésors cachés, comme ses petits marchés nichés dans des rues étroites, où ses habitants, encore très influencés par une culture d’autrefois, se parent parfois d’habits traditionnels, témoignage de leur attachement à un riche patrimoine culturel.
Dans l’Est de la ville, on découvre en particulier un Rajkot plus « royal », paisible et calme, avec ses vieux bâtiments qui témoignent de l’ancienne splendeur du Saurashtra.
La ville de Rajkot a été fondée en 1612 par le clan Jadeja, un clan royal Rajput. A l’époque de la colonisation britannique, la ville a ensuite servi de centre administratif régional, pour l’Ouest du « Raj », celui de la Western India States Agency (WISA). Ce centre couvrait près de 400 Etats princiers dans les régions de Saurashtra (appelée aussi parfois Kathiawar), Kutch et celle du Nord-Ouest du Gujarat.
De Bouddha à Bollywood
La richesse culturelle de Rajkot puise d’abord aux racines de la spiritualité bouddhiste. A commencer par les grottes aménagées de Khambhalida, autour de Gondal, considérées comme les plus vieilles de la région.
A 60 km du centre-ville de Rajkot, ces trois grottes se déploient dans un endroit à l’écart, appuyé sur de petites collines. Leurs majestueuses structures ciselées dans le calcaire, remontent aux IV-Vèmes siècles de notre ère. Découvertes en 1958 par PP Pandya, un éminent architecte de l’époque, ces grottes de Khambhalida auraient été aménagées, selon la légende, par un saint issu de l’école Dinyan du bouddhisme.
La grotte centrale, la plus grande, constitue le « chaitya », un temple ou sanctuaire, avec un stupa (monument funéraire bouddhiste en forme de tour) à son extrémité. Le stupa est délabré mais l’ensemble reste imposant, avec, à l’entrée du « chaitya », de belles structures abritant des divinités bouddhistes. Les moines bouddhistes auraient médité longuement dans ces grottes, ce qui confère au lieu une aura spirituelle et paisible, et donne au visiteur l’envie d’y rester plus longtemps, à l’instar de ces centaines de chauve-souris qui y ont élu domicile depuis quelque temps, faute d’entretien suffisant des lieux.
Rajkot est aussi célèbre pour sa grande palette de styles architecturaux, dont bien des témoignages ont survécu à l’outrage des siècles, pour le plus grand plaisir des touristes mais aussi de nombreux réalisateurs et producteurs de films, qui ont choisi la ville comme grand plateau de tournage. De nombreux palais de Rajkot ont ainsi eu les honneurs du grand écran, notamment le fameux palais Gondal, où ont été tournées de grandes productions de Bollywood comme « Hum Dil De Chuke Sanam » (1999) et « Prem Ratan Dhan Payo » (2015), tous deux avec la très athlétique star Salman Khan.
Le palais Gondal est un imposant ensemble composé de trois demeures royales, dont la plus ancienne, le « Naulakha Palace », a été construite aux alentours du XVIIIème siècle par le Maharaja d’alors.
Auparavant résidences princières ou logements pour les invités, ces palais sont aujourd’hui devenus des hôtels de patrimoine, riches en objets d’art, meubles, décorations, antiquités et artisanat, datant en particulier des années 1930-1940. Un vrai petit musée, pour se plonger dans une époque révolue.
L’une des chambres les plus célèbres de cet hôtel luxueux est le « Rail Saloon », un compartiment de train converti en une vaste suite pouvant accueillir une petite famille, avec salon, salle à manger, chambre et douche.
A Gondal, on peut aussi admirer 35 voitures de collection qui appartenaient à la famille princière : d’antiques véhicules du début du XXème siècle aux intérieurs en bois raffinés, aux cabriolets américaines de luxe comme une Packard 1935 à deux portes, une Buick 1930, ou encore une limousine Cadillac Eldorado 1950.
Dans le jardin, propice à une belle balade, des paons et d’autres oiseaux colorés gambadent et un écrin de manguiers entoure l’ancien complexe royal, nimbé de fraîcheur et de paix.
Rajkot sait notamment faire revivre son héritage traditionnel à travers de nombreux festivals, tout au long de l’année. La fête de Navratri, littéralement celle des « neuf nuits », à l’automne, est célébrée à travers toute l’Inde mais particulièrement fastueuse, ici, dans l’Etat du Gujarat. On y honore la déesse hindoue Durga et des « pujas » (prières traditionnelles) réunissent les gens de tous âges et de toutes conditions, parés de vêtements traditionnels. On y prend aussi part à de fameuses danses folkloriques du Gujarat, comme la « Sheri Garba » ou la « Dandiya Raas ».
Mais la plus célèbre de ces danses reste la « garba », élément incontournable et attraction majeure de la fête de Navratri au Gujarat. A cette occasion, les femmes revêtent une tenue trois-pièces, le « chanya choli », composée de la « chanya », une jupe ample, du « choli », un blouson coloré et brodé et du « dupatta », un large foulard couvrant la tête, à la manière traditionnelle gujarati. Les hommes portent, eux, un « kafni pajama », un pantalon bouffant, et un « kediyu », une courte chemise évasée.
Un accueil royal
Rajkot sait être royale jusque dans sa grande tradition d’hospitalité gujarati, que l’on peut expérimenter notamment au Heritage Khirasara Palace, un palais transformé en hôtel. Les visiteurs y bénéficient d’un traitement digne de celui d’anciens cavaliers royaux. A l’entrée, un « pundit » – un prêtre hindou – vous accueille avec des rituels typiques comme le « tilaka », cette marque apposée sur le front, et déverse ensuite sur vous un monceau de fleurs.
Le palais de Khirasara, construit il y a trois siècles, est de nos jours entretenu par la famille Rana, qui y a maintenu les traditions régionales Kathiawar. La famille a également entrepris de restaurer les éléments d’origine du palais. « Mon père, Dillip Singh, a acheté la propriété en 1994. Il l’a reconstruite autour du concept originel du palais, en se référant aux vieilles photos que nous avaient données les anciens propriétaires. Il lui a fallu 13 ans pour achever cette rénovation, et l’hôtel a été inauguré en 2010 », nous raconte ainsi Shraddha Rana, directrice du palais de Khirasara.
Cette dernière détaille également ses futurs projets pour développer davantage le site, qui compte aujourd’hui 24 chambres de luxe et un beau lac naturel devant le palais : « Nous entendons y adjoindre 40 nouvelles chambres et convertir le lac naturel en lac artificiel puisqu’il n’est actuellement rempli d’eau que pendant la saison de la mousson. Il devrait y avoir également un petit restaurant au milieu du lac. Dans les environs, nous allons construire de petits cottages personnalisés, où l’on pourra prendre des diners privés. »
Juchée sur une colline à l’écart, avec une vue panoramique sur les environs, à une quinzaine de kilomètres seulement du centre de Rajkot, le palais bénéficie, il est vrai, d’un emplacement exceptionnel, pour une escapade paisible et confortable.
Un souvenir raffiné de Rajkot
Un conseil : à Rajkot et dans ses marchés regorgeant de tentations, achetez d’abord des produits locaux. Le choix ne manque pas mais la ville est surtout célèbre pour ses « saris bandhani », aux couleurs vives, des souvenirs idéaux.
« Le bandhani est d’origine gujarati et reste très répandu dans l’industrie artisanale. Un sari ou une écharpe bandhani se fabrique avec un tissu gris, noué d’abord avec des ficelles, pour obtenir, une fois trempé dans différentes teintures et déplié, de subtils motifs floraux ou géométriques », précise Dewangi Marthak, qui dirige à Rajkot le magasin Jagdish Cotton World, avec son mari, Ghanshyam Bosmia.
Alors qu’au Gujarat, le bandhani occupe une place importante dans les traditions locales, le tissu est apprécié également à travers l’Inde et à l’étranger, pour ses couleurs vives et ses motifs délicats. « La tradition gujarati veut que chaque fille achète un sari bandhani lorsqu’elle se marie. Le bandhani est aussi très prisé des étrangers, qui préfèrent notamment le bandhani en soie », explique Dewangi Marthak.
Un sari bandhani, appelé parfois aussi bandhej, peut en effet être réalisé à partir de différents tissus comme du coton, de la soie gajji ou la soie pure, de la crêpe Georgette, ou même de la mousseline de soie.
Le bandhani est traditionnellement une affaire de famille, où toutes les nuances des techniques de tissage et de confection passent de mère en fille, au fil des générations. Pourtant, de nos jours, de plus en plus de filles optent pour d’autres métiers, négligeant le commerce du bandhani, ce qui met en péril la survie de cet artisanat.
La gastronomie et les saveurs Rajwadis
Avec une pléthore des plats régionaux, principalement végétariens, la gastronomie gujarati est l’une des plus anciennes d’Inde. La culture culinaire Kathiawar, dans la région de Saurashtra, possède en particulier des recettes uniques pour cuisiner chaque plat, en combinant notamment, de façon sans cesse renouvelée, des légumes du quotidien avec des épices douces. Il faut goûter absolument le kathiawari dhokli, des pâtes en farine de pois chiche dans une sauce épicée, l’un des plats les plus réputés et appréciés des Gujaratis. On peut l’accompagner notamment de bajre na rotla, des pains plats de millet ou de maïs ou de buttermilk (une sorte de lait fermenté).
Les pâtes du kathiawari dhokli sont préparées à partir de besan, une farine de pois chiche, qui est frite dans une base de buttermilk avec de l’ail, des oignons et des épices. La sauce, quant à elle, est à base de tomates, d’oignons et toujours de buttermilk. La recette contient un ingrédient spécial du Gujarat, une sorte de « botte secrète » : un mélange des cacahouètes écrasées, de graines de sésame broyées et de poudre de noix des coco.
La recette puise son origine dans la culture typique de Kathiawar et ses contraintes particulières. « Auparavant, les femmes ne fréquentaient pas les marchés sans êtres accompagnées par un homme de la famille. Quand cela n’était pas possible, elles cuisinaient avec tout ce qu’elles avaient d’immédiatement disponible sous la main. C’était très souvent des ingrédients élémentaires comme le besan, le blé, le riz, etc… Le kathiwari dhokli est né ainsi », explique Shraddha Rana.
La tradition culinaire de Rajkot et sa région se perpétue ainsi dans toute sa prodigalité, jusque dans le plus petit hameau. « Dans la culture de Kathiawar, on accueille chaque invité avec les mets les meilleurs possibles. Même dans un village, dans leurs petites huttes, les habitants régalent les touristes. La tradition exige que l’on n’ait plus faim en quittant le village », explique Shraddha Rana, du Heritage Khirasara Palace qui suit aussi cette tradition dans son palais, en offrant des plats Kathiawari aux visiteurs, pour rassasier autant leur estomac que leur esprit.