Sikhs de France
Aller à la rencontre des Sikhs de France, c’est pousser les portes de l’une des minorités les plus méconnues de l’Hexagone. Une minorité d’origine indienne dont les traditions ne sont pas toujours bien comprises des Français.
Les Sikhs se définissent par leur religion, le sikhisme. Fondée dans le nord de l’Inde au XVe siècle, cette religion monothéiste compte aujourd’hui plus de 20 millions de fidèles. En Inde, les Sikhs vivent principalement dans l’Etat du Pendjab, dont la capitale, Amristar, et son imposant Temple d’Or, sont des haut-lieux du sikhisme. Mais cette population a aussi une forte diaspora. 10 % des Indiens vivant à l’étranger sont de confession sikhe. S’ils ont principalement immigré dans des pays anglophones, une petite communauté vit également en France. Combien sont-ils aujourd’hui dans l’Hexagone ? Entre 8 000 et 30 000 : les chiffres divergent. Principalement installés en région parisienne, notamment dans le département de la Seine Saint-Denis, « mais également dans le Val d’Oise, à Créteil, Strasbourg, Lille, Lyon… » rajoute Ranjit Singh, directeur des Affaires publiques du Conseil représentatif des Sikhs de France. Signe de l’implantation sikhe en France : le temple, que l’on nomme gurdwara dans la religion sikhe, construit il y a quelques années à Bobigny. Rue de la Ferme, entre des pavillons et des immeubles de quelques étages, les trois dômes blancs du gurdwara détonent dans ce décor urbain de banlieue parisienne. Le Gurdwara Singh Sabha est d’ailleurs le premier temple en France à reprendre ainsi l’architecture traditionnelle des lieux de culte sikhs du sous-continent indien. La Seine Saint-Denis compte d’autres lieux de culte sikh dans les communes du Bourget, de La Courneuve, de Bondy. Mais les Sikhs s’y réunissent dans des appartements ou des pavillons de banlieue, transformés en gurdwara.
Hostilité des riverains
Jasvir Singh, qui est né en France il y a une trentaine d’années, explique que « le premier lieu de rassemblement était dans un appartement dans Paris, puis dans un pavillon à Bagnolet. Puis un premier pavillon a été acheté à Bobigny, puis un deuxième dans la même rue. Il y a 7 ans, les pavillons ont été détruits pour construire une gurdwara. » La construction de la Gurdwara de Bobigny ne fut pas sans difficulté. Elle devait initialement être construite dans un autre quartier à la place d’un bâtiment à l’abandon, mais l’hostilité des riverains avait eu raison de ce projet architectural en 2002. La construction de l’actuelle gurdwara a pris cinq ans, et a été uniquement financée par les fonds de la communauté. « Comme beaucoup de membres de la communauté sont entrepreneurs dans le bâtiment, ils ont pris en charge une partie de la construction » explique Jasvir Singh, lui-même commercial dans l’entreprise familiale. Les trois dômes blancs symbolisant des fleurs de lotus sur le point d’éclore ont été spécialement importés d’Inde.
Le temple a finalement ouvert en 2011. Aujourd’hui, « le gurdwara est fréquenté par 1500 personnes les bons jours, 700 à 800 les autres jours. Nous avons une idée de la fréquentation grâce aux quantités de nourriture consommée » explique Jasvir. Que les fidèles se restaurent lorsqu’ils vont au temple fait partie des points indispensables pour former un véritable lieu de culte dans la religion sikhe. Le gurdwara de Bobigny respecte bien entendu cette règle, et au premier étage du bâtiment se trouve le langar, la cantine gratuite. Dal (soupe de lentilles), chapati (galette), yaourt et jalebi (sucrerie frite et trempée dans du sirop) sont servis aux fidèles assis par terre en tailleur. Le menu est strictement végétarien et les saveurs rappellent instantanément les plats du nord de l’Inde.
Vaisakhi, la principale fête sikhe rassemble plus de monde. Elle donne chaque année à la mi-avril lieu à un défilé dans les rues de Bobigny, rassemblant 4 000 personnes. C’est aussi l’occasion d’assister à des démonstrations de Gatka, l’art martial sikh, dont un club, le Miri Piri Gatka Akharra France, perpétue la tradition.
Les 5 « K »
Le sikhisme comporte cinq signes distinctifs : porter les cheveux longs (kesh) ainsi que la barbe, porter un peigne (kangha), un bracelet (kara), un short traditionnel (kaccha) et un poignard (kirpan). Ce sont ces 5 « K » qui définissent traditionnellement l’identité visuelle d’un Sikh. Mais l’attention se focalise surtout sur la barbe et le turban qui protège la longue chevelure des hommes. Les Sikhs se divisent ainsi entre Keshdhari (les porteurs de cheveux longs) et Mona (les rasés), entre ceux qui portent le turban et la barbe et ceux qui se sont coupés les cheveux, ont abandonné le port du turban et se sont rasé la barbe. Si en Inde et notamment dans l’Etat du Pendjab, la grande majorité des hommes gardent barbe et turban, dans les pays étrangers, en diaspora, la majorité des Sikhs se coupent la barbe et ôtent le turban.
Singh Chandok est arrivé en France à la fin des années 1970 avec ses parents. « Nous étions l’une des premières familles sikhes. Il n’y avait pas la solidarité actuelle. Je me sentais très isolé. » A sa rentrée en classe de 6e, il se coupe les cheveux, « un choix personnel », qui ne lui avait alors pas été imposé, si ce n’est par ce sentiment d’isolement. Depuis, il porte les cheveux courts et se rase la barbe. Hormis le discret bracelet sikh qu’il porte au poignet, il est impossible de dire son appartenance à la communauté de par son apparence physique. « Je me sens profondément sikh, même si je n’en porte pas les signes visuels. Je me sens très concerné par les problématiques sikhes. » Singh Chandok, qui est aujourd’hui réalisateur de documentaires, a d’ailleurs débuté sa carrière de documentariste avec un film sur le turban sikh réalisé en 2004.
« Tous les matins, je me dis que je vais lâcher le rasoir, refaire pousser ma barbe. J’en ai profondément envie. » Mais « le courage n’est pas partagé également entre tous » ajoute-t-il. Car pour porter barbe et turban en France, il faut un certain courage. « Avant, le turban était associé aux maharadjas, aujourd’hui aux talibans » ajoute Singh Chandok, dont le père qui vit encore en France porte toujours barbe et turban. Ce changement de représentation, qui associe désormais plus facilement les Sikhs barbus et enturbannés à l’islamisme fondamentaliste dans l’imaginaire collectif n’est pas facile à vivre au quotidien. Quant à la législation française, elle encadre le port du turban, l’interdisant dans les établissements scolaires publics et sur les photographies des documents d’identité. En 2004, la loi sur le port des signes religieux ostentatoires dans les écoles, collèges et lycées publics, a touché de plein fouet la petite communauté sikhe de France. A la rentrée 2004, trois élèves d’un lycée de Bobigny se virent refuser l’accès à la salle de cours pour port du keski, une sorte de sous-turban maintenant leur longue chevelure en chignon relevé sur le haut de la tête. Finalement exclus du lycée, ils reprirent leur scolarisation l’année suivante dans un lycée privé sous contrat. Ils sont aujourd’hui respectivement ingénieur, cadre commercial et juriste et portent toujours barbe et turban et ont participé à la création de l’Association des Sikhs de France. Fondée en 2010, l’Association Sikhs de France est un relais entre la communauté sikhe et l’administration française. L’association est régulièrement en contact avec le Bureau Central des Cultes, le Ministère de l’Intérieur, celui des Affaires étrangères, l’Ambassade de l’Inde en France et les autres associations sikhes de pays européens.
Situation apaisée
Chaque année, l’Association se fait le relais entre les chefs d’établissements scolaires et les familles sikhes en cas de conflit concernant le port du keski ou de la longue chevelure des enfants sikhs. Si chaque année Ranjit Singh relève deux à trois cas compliqués, la situation semble s’être apaisée depuis la loi de 2004. Mais la communauté sikhe s’agrandit et la question du port du turban à l’école et sur les pièces d’identité n’est pas résolue. L’Association Sikhs de France oeuvre aussi à faire connaître la communauté sikhe. Si cette immigration se structure en France dans les années 1980, les liens entre Sikhs et Français remontent au début du XIXème siècle. Le général Allard fut nommé par Louis-Philippe, alors roi de France, représentant de la France dans le royaume du maharadja Ranjit Singh, roi des Sikhs. Le militaire français y formait les soldats du roi sikh. Au cours des deux guerres mondiales, des soldats sikhs appartenant aux troupes de l’Empire colonial britannique, ont combattu sur le sol français. Mais l’installation de Sikhs en France prit réellement forme il y a une trentaine d’années. Les premiers Sikhs arrivèrent dans les années 1980 et les premières régularisations eurent lieu en 1981-82. Ces pionniers fondèrent les premières structures d’entraide ainsi que le premier temple sikh en 1986. La deuxième vague d’immigration est liée aux évènements tragiques dont furent victimes les Sikhs en Inde en 1984. Le Pendjab était à l’époque secoué par des velléités séparatistes. Indira Gandhi, alors Premier ministre, fit donner l’assaut contre le Temple d’Or dans lequel s’étaient réfugiés des militants.Par vengeance, les deux gardes du corps sikhs d’Indira Gandhi l’assassinèrent le 31 octobre 1984. S’ensuivirent des journées de pogroms anti-sikhs, notamment à Delhi, qui causèrent la mort de milliers de personnes. Des Sikhs immigrèrent et obtinrent le statut de réfugiés politiques en France. Cette immigration politique perdura jusque dans les années 1990. Depuis la fin des années 1990, l’immigration sikhe en France obéit de nouveau à des motifs économiques. « La communauté sikhe vit bien, elle est prospère : 60 % des personnes exercent une profession libérale, dans le commerce, le BTP, la restauration ; les autres sont salariés » explique Ranjit Singh. Mais il reconnaît qu « il y a aussi des gens qui rentrent en Inde avec le boom économique. » D’après Jasvir Singh, des Sikhs installés en Europe demandent désormais aux membres de leur famille en Inde de ne pas les rejoindre, car la situation se complique, entre clandestinité et chômage.