Theyyam

Danse sacrée et mystique

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August 19, 2018

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Indes

Septembre-Octobre 2018



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theyyam

Dans des villages du nord du Kerala se déroulent chaque année, avant la mousson et après la récolte, des rituels tribaux qui suivent des codes précis et des croyances millénaires. Les theyyams, impliquant notamment danse et transe dans d’impressionnantes parures colorées, permettent ainsi aux divinités de descendre sur terre et aux hommes d’invoquer leurs grâces.

Je suis encore vêtu de mon dhoti et mon visage ne porte presque pas de maquillage. Les notes des thottams que nous chantons s’élèvent dans la nuit étoilée. Ces chansons racontent les légendes des divinités que nous incarnons dans notre theyyam. Je me concentre sur Bhagawathi, je mets tout mon cœur dans ces chants que je lui adresse. Pourrai-je pleinement entrer en transe ? La divinité prendra-t-elle possession de moi ?

Toute l’année, je suis un dalit, un basse caste, un moins que rien que l’on ignore dans la rue. Mais pendant les trois ou quatre mois de la saison des theyyams, je deviens un dieu devant lequel même les plus grands brahmanes se prosternent.

Je suis un theyyakkaran. Pratiquer le theyyam est un droit dont j’ai hérité à ma naissance. Je me suis préparé dans ma communauté durant des années pour parvenir à ce moment-là : apprendre les chansons qui peuvent durer jusqu’à deux heures, les danses, les percussions et rythmes qui sont spécifiques à chaque theyyam ; connaître les gestes, les pas et expressions faciales, les types de maquillages… Sans oublier l’entrainement physique intense : porter une coiffe qui peut mesurer plusieurs mètres de haut, danser, faire des bonds… Mais la seule chose à laquelle je ne peux me préparer, c’est la transe et je ne sais jamais ce que la divinité que j’incarne me fera faire.

Il fait toujours nuit noire. Nous sommes en mars et les nuits restent encore fraîches. Les chants se terminent, nos voix se taisent. La transformation peut commencer. Je reviens dans la hutte et m’allonge sur le sol. Pendant que mon maquillage est appliqué, je me rappelle les jeux de theyyam auxquels, enfant déjà, je jouais. J’avais hâte d’atteindre l’âge requis pour que mon apprentissage puisse enfin commencer.

Le maquillage est maintenant presque terminé : j’utilise un petit miroir de poche et j’y croise le regard de la divinité que j’incarne ce soir : elle est là, prête à me posséder. Un grand calme m’envahit. Je me lève et les hommes s’affairent autour de moi pour m’habiller et compléter ma tenue d’accessoires spectaculaires, installer ma coiffe… Ils m’entourent, s’agitent, me manipulent, me touchent et pourtant, leurs voix s’éloignent et les bruits de la forêt environnante disparaissent progressivement.

Quand le culte sera terminé, me rappellerai-je seulement ce qui se sera passé ? » Voilà ce que semble nous dire le regard fascinant de l’artiste qui se fait préparer pour la cérémonie traditionnelle du theyyam auquel nous allons assister. À quoi peut-il bien penser ? J’ai essayé de comprendre ce qu’il pouvait éprouver, quelle était son histoire mais, malgré tout ce que j’ai pu lire, je ne puis qu’imaginer ce qu’il ressent.

fevrier

Aux origines d’un theyyam

Nous sommes dans un village près de Nileshwar, dans le nord du Kerala sur la côte de Malabar. Plusieurs dizaines d’années auparavant, un petit garçon avait été victime d’une noyade. Tandis qu’il était entre la vie et la mort, sa mère implora les dieux du panthéon familial et promit que, si son enfant devait survivre, elle ferait une offrande au temple équivalente au poids cumulé de son enfant et d’elle-même.

Ce petit garçon a survécu, c’est maintenant un homme d’une quarantaine d’années. Nous sommes dans son village, devant sa maison. Il nous explique comment, depuis l’évènement tragique de son enfance, sa famille organise un theyyam tous les cinq ans. Personne ne songerait d’ailleurs à manquer les rituels festifs de ces deux jours et l’offrande avec la traditionnelle pesée d’une femme de la famille et son enfant.

Les villageois sont fiers d’avoir leur propre theyyam et chacun contribue à la mesure de ses moyens au financement de cette cérémonie.

L’espace de deux jours et de deux nuits, le village grouillera d’activité. Installer les cahutes provisoires où se prépareront les artistes, aménager l’espace des spectateurs avec une grande bâche et des chaises, décorer la maison du maître de cérémonie de guirlandes de fleurs et de petites lampes. Il faudra aussi gérer les donations, loger et nourrir les invités ainsi que les artistes theyyakkarans. D’ailleurs, pas loin de dix hommes s’affairent déjà dans les cuisines éphémères érigées pour l’occasion.

Malgré l’obscurité, l’espace cérémoniel est pleinement éclairé. Mais la plupart des chaises en plastique sont vides. Les femmes les plus âgées de l’assemblée occupent la place d’honneur sur le perron de la maison du maître de cérémonie. Elles sont toutes vêtues de saris aux tonalités d’or, ocre, orange pâle et crème.

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Au rythme des tambours

Les lumières s’atténuent, les ténèbres reprennent leurs droits tandis qu’un tremblement parcourt l’assemblée : les hommes se sont mis à jouer du tambour. Le rythme varie et ondule comme un serpent qui chercherait à hypnotiser son public. Des hommes en dhoti blanc (longue pièce de tissu nouée à la taille des hommes constituant un pantalon) entrent en scène, brandissant des torches enflammées. Le theyyakkaran s’avance lentement. Il est méconnaissable : il porte un large plastron, une jupe à franges en feuilles de bananier. Sa coiffe de tissu, perles et strass, fleurs et décorations métalliques est ornée de grelots qui tintent au même rythme que ses anneaux aux chevilles. Elle fait plus d’un mètre de haut. L’ensemble, dans une harmonie de rouges et d’oranges, est spectaculaire. Fixées à cette coiffe, des tiges enflammées éclairent son visage démoniaque. Ses yeux semblent possédés. Il danse au rythme des tambours. La déesse qu’il incarne, munie d’armes tranchantes, semble agressive et en colère.

Le feu, omniprésent et symbolique, amplifie la qualité théâtrale de ces moments si intenses. Puis, immanquablement, arrive le sacrifice animal. Le sang de trois magnifiques coqs viendra abreuver la terre assoiffée.

Enfin, arrive le dernier rituel du theyyam : les fidèles attendent patiemment leur tour pour pouvoir s’adresser à la déesse, lui demander conseil, invoquer son pardon, la supplier humblement d’accéder à leurs prières. Plus de trace d’agressivité dans son comportement, mais une écoute patiente et attentionnée, parfois presque tendre, pour chacun d’entre eux ; la divinité écoute, conseille, apaise puis bénit chacun avec le kuri (poudre de curcuma et de riz).

Le culte est maintenant terminé, le jour se lève. L’artiste se retire dans un coin tandis que des hommes l’aident à se débarrasser de ses attributs. Pendant ce temps, cinq membres de l’équipe précédente dorment profondément, blottis les uns contre les autres, abrités sous une couverture au motif de Mickey Mouse.

Le mystère semble disparaître avec la nuit qui cède la place au jour. Nous allons prendre une collation et, en revenant, presque toutes les chaises en plastique sont occupées par des femmes de tous âges, visiblement parées de leur plus belle tenue. Les anciennes se sont également changées pour arborer des couleurs plus vives mais ont repris leur place d’honneur. Bientôt, une nouvelle performance commencera.

Plus tard, quand la saison des theyyams se terminera, les theyyakkarans retrouveront leur position modeste pour le reste de l’année, jusqu’à la saison suivante.

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Traditionnelle danse des dieux

Le nom de ce rituel, theyyam ou encore theyyatam, provient du malayalam et signifie « la danse des dieux ». La période des theyyams est généralement entre novembre-décembre et avril-mai, après les récoltes et avant la mousson. D’après la légende, les gens du nord de la région de Malabar auraient obtenu le droit de faire des theyyams, de Parasurama, la sixième incarnation du dieu Rama.

Cette tradition tribale dravidienne millénaire est un culte complexe et élaboré, truffé de rituels, codes et traditions. Il existe plus de quatre cents sortes différentes de theyyams. Cette cérémonie dure en général entre un et trois jours et consiste en différents rites pouvant durer plusieurs heures. Le theyyam se déroule habituellement dans les temples, dans des kavus (un espace vert sacré), mais aussi dans les cours ou devant les maisons d’habitants du village.

Lors de cette pratique religieuse, le corps de l’artiste, peint et ceint d’une impressionnante parure aux couleurs chatoyantes, ne fait plus qu’un avec l’esprit, la divinité qu’il est censé incarner, cette divinité pouvant être Bhagawathi, la déesse du village, une autre divinité, un ancêtre, un héros, une légende, un arbre, un animal…

Chaque tableau, malgré des codes stricts, laisse une marge à l’artiste pour interpréter et adapter l’ensemble selon ses aptitudes, son expérience, sa personnalité.

Pas un theyyam ne se ressemble. Outre l’interprétation, des différences existent quant au moment du jour ou de la nuit et au lieu de la cérémonie, à la divinité incarnée, aux costumes, maquillages et accessoires, qui sont plus spectaculaires et dramatiques les uns que les autres. Mais la danse et la transe sont les éléments essentiels du rituel qui permettent aux héros et dieux de descendre sur terre et aux hommes d’invoquer leurs grâces, pour garder ou obtenir une bonne santé, pour trouver un travail et la prospérité, etc.

Une cérémonie mystique, païenne, animiste et une expérience unique à vivre au Kerala, à la rencontre des dieux.

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