D’Indraprastha à New Delhi

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February 3, 2019

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Indes

janvier février 2019



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Delhi, qui a connu à plusieurs reprises, le faste, la conquête, la destruction et la renaissance, est le fruit de l’amalgame de toutes les villes qui l’ont précédée. Cette cité millénaire, à l’histoire tumultueuse et aux influences multiples qui se reflètent dans tous ses aspects, ne laisse pas indifférent. Adorée ou détestée, elle est en tout cas passionnante et a beaucoup à offrir.

Il est coutume de dire que la première référence à la ville de Delhi apparaît dans l’épopée de la mythologie hindoue du Mahabharata sous le nom d’Indraprastha (la ville d’Indra), comme la capitale du royaume des Pandava. Mais dans son passionnant roman qui nous plonge dans l’atmosphère, l’histoire et la culture de Delhi, La Cité des djinns (Éditions Noir sur blanc), William Dalrymple nous conte la légende de l’origine d’Indraprashta elle-même, rapportée par Carr Stephen (dans The Archaeology and Monumental Remains of Delhi de 1876). Selon celle-ci, peu après la création du monde, atteint d’une crise d’amnésie, le dieu créateur Brahma pratiqua, afin de se rappeler les Veda et autres textes sacrés, des exercices yogiques et des mortifications, puis plongea dans les eaux de la Yamuna. La crue de la mousson qui suivit ramena les textes sacrés sur la rive, près des premières collines de l’Aravalli, qui fut alors nommée Nigambodh Ghat (les « berges de la connaissance sacrée »), ghat qui existe toujours à Delhi. Et ce serait pour cette raison que les Pandava auraient décidé de fonder Indraprastha à cet endroit.

Si les fouilles archéologiques ne donnent pas la preuve de l’existence d’une cité antique telle que décrite dans le Mahabharata – qui se serait située dans la zone actuelle du Purana Qila – elles ont, en revanche, mis à jour et attesté celle de zones d’habitation très anciennes et celle de plusieurs importants centres urbains à partir du XIe siècle. En effet, Delhi est l’aboutissement de constructions successives, l’amalgame de toutes ces villes (voir encadré à la fin de l’article « L’histoire des huit villes de Delhi » ). Généralement, selon que l’on comptabilise New Delhi ou non, on en compte sept ou huit, ou même neuf (en y ajoutant Indraprastha), mais d’autres, à l’instar de Lucy Peck, dans Delhi, A Thousand Years of Building – guide publié avec l’ONG INTACH (Indian National Trust for Art and Cultural Heritage) chez Roli Books – évoquent la possibilité d’en compter davantage, jusqu’à 16 (en y ajoutant des fondations distinctes connues, les centres coloniaux et la ville moderne post indépendance); mais quel que soit le choix quant à la manière de dénombrer ces villes de Delhi, une chose est incontestable : Delhi est multiple.

Au cours de sa longue histoire, elle est choyée, conquise, pillée, mise à feu et à sang, mais elle renaît toujours de ses cendres et abrite, à quelques exceptions près, le centre du pouvoir, attisant la convoitise. Si le sort de destruction qui frappe tous ceux qui tentent de fonder une nouvelle ville de Delhi a causé bien des traumatismes, ses diverses renaissances en ont également fait une ville riche de culture et aux multiples facettes qui peut offrir à chacun des attraits.

Tout à la fois détestée et adorée, Delhi est malgré tout captivante. Elle est difficile, et même parfois terrible, avec une partie de la population qui vit dans des conditions insupportables. Elle est également polluée et chaotique. Mais, comme le fait remarquer, dans un entretien avec INDES, l’écrivain et blogueur Mayank Austen Soofi, alias The Delhi Walla – qui consacre son blog à cette ville et en dévoile tous les secrets avec poésie – le chaos de cette ville « abîmée » participe aussi à son charme, et il peut avoir un côté fascinant. Il ajoute que, ce sont ses habitants, la vie locale et sa diversité qui rendent la ville intéressante, Ses divers quartiers, tels des témoins de sa riche histoire et de sa culture foisonnante, offrent à chacun des univers complétement différents, et en font une ville à découvrir.

 

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Quartiers et cultures hétéroclites

Ville de contrastes, Delhi offre en effet une multitude de quartiers hétéroclites, héritage de sa longue histoire. Des petites ruelles grouillantes pleines de charme de Old Delhi aux grandes avenues aérées et verdoyantes du centre politique de New Delhi, en passant par le quartier bobo des designers de mode, Shahpur Jat, toutes sortes d’atmosphères coexistent dans cette ville. Vous pouvez courir les magasins du très huppé Khan market, où se trouvent certaines des meilleures librairies de la ville ainsi que de nombreux bars et restaurants tendances, ou vous mêler à la foule dans le quartier populaire et chaotique de Paharganj, paradis des backpackers pour ses guesthouses, restaurants et boutiques bon marché. Vous pouvez également aller admirer de nombreux monuments entourés de verdure et un coucher de soleil sur le lac artificiel du romantique Hauz Khas, et goûter à la vie noctambule de son « Village » branché, ou bien encore visiter la plus touristique Connaught Place, ou CP, parfaite pour se restaurer, sortir ou pour une session shopping.

Dans une ville où la culture gastronomique est particulièrement importante, cette diversité se retrouve aussi dans les assiettes, que ce soit dans de grands restaurants, des établissements familiaux, des chaînes de restauration, des dabhas (petits restaurants de bord de route) ou même des stands de rue. Capitale gastronomique et ville cosmopolite abritant des habitants venant de tout le pays et de l’étranger, vous y trouverez, outre les nombreux plats typiques de Delhi, des spécialités de toutes les régions de l’Inde, telle la cuisine bengalie, notamment dans les petits marchés du quartier de CR Park (Chattaranjan Park), mais aussi de la cuisine fusion, et de la cuisine internationale, par exemple de la cuisine tibétaine dans le quartier de Majnu KaTilla.

Diversité religieuse

Delhi reflète également la mosaïque religieuse que constitue le pays, avec notamment l’hindouisme, l’islam, le christianisme, le sikhisme, le bouddhisme, le jaïnisme, le judaïsme, le bahaïsme, ou encore le zoroastrisme. Chacune de ces religions offre des temples à l’architecture et à l’atmosphère bien particulières. Parmi les innombrables lieux de culte de la ville, la Jama Masjid bien sûr, célèbre mosquée de Old Delhi, la plus grande d’Inde ; mais également le très serein Lotus temple bahaï, à l’architecture florale unique et accueillant toutes les religions ; le gurdwara Bangla sahib et son fameux langar (cuisine commune offrant des repas aux fidèles) et son superbe sarovar (bassin d’eau situé dans le complexe) ; l’église Saint-Jacques (ou Saint James en anglais), la plus ancienne église de Delhi construite par le très romanesque James Skinner ; le Digambar Jain Lal Mandir à Chandni Chowk comprenant dans ses murs une institution unique : un hôpital pour les oiseaux (Jain Charity Birds Hospital) ; le somptueux temple hindou de Chhatarpur ou encore le Kalkaji mandir ; l’Akshardam Temple et le dargah (sanctuaire soufi) de Nizamuddin.

Un patrimoine architecturale unique

Si chaque religion, chaque région, chaque dynastie au pouvoir, chaque envahisseur, chaque période historique a marqué l’art architectural de ses spécificités, ces différentes influences qu’a connues la ville au cours de son histoire ont, en outre, donné lieu à des apports mutuels et d’intéressants mélanges, dans de nouvelles constructions ou d’anciennes bâtisses rénovées. Ainsi, fruit de l’imbrication de ces influences, des bâtiments d’architecture indo-musulmane mêlent notamment éléments d’art islamique et d’art hindou, ces derniers ayant été progressivement absorbés dans cette architecture. Ainsi, la fleur de lotus, symbole utilisé par les hindous, est présent au sommet des dômes de nombreux monuments, y compris des mosquées. Parmi les meilleurs exemples de ce mélange des influences artistiques dans des bâtisses turco-afghanes on trouve, au Lodi Gardens, les mausolées de Muhammad Shah Sayyid et de Sikander Lodi.

Dans un autre style, dans le parc archéologique de Mehrauli, Le Dilkusha (littéralement « qui réjouit le cœur »), offre un mélange particulièrement original d’architecture indo-islamique et victorienne, cette tombe moghole ayant été transformée en résidence par le Britannique Sir Thomas Metcalf au XIXe siècle.

Quant au Delhi de Lutyens et ses grands monuments emblématiques, tels que la résidence du vice-roi, le Rashtrapati Bhawan, ou l’India Gate, ils donnent une parfaite illustration d’un nouveau style alliant écoles occidentales et orientales.

Delhi présente donc de rares richesses architecturales qui sont spécifiques à la région, tel aussi le Jantar Mantar, avec ses instruments d’astronomie géants. Également, parmi les nombreux types de réservoirs d’eaux, nécessaires dans une ville sujette aux épisodes de sécheresse, on trouve par exemple des lacs artificiels mais aussi des baolis, soit des puits à degrés dont des escaliers mènent à l’eau et à un peu de fraicheur et qui sont des constructions caractéristiques du souscontinent indien.

Une ville de culture

Mais outre une diversité architecturale, les lieux culturels de Delhi présentent aussi une grande diversité en ce qui concerne leur nature et objet. Les monuments sont légions : forts, palais, temples, mosquées, tours, tombes, baolis… Delhi en compte plus d’un millier à travers la ville et trois sites sont d’ailleurs classés au patrimoine mondial de l’UNESCO : les complexes du Qutub Minar, du Red Fort et de la tombe d’Humayun.

Mais les galeries ainsi que les musées d’art et d’histoire parsèment également la ville et balaient un large spectre de sujets, du National Museum (art et histoire) au National Science Center, en passant par le National Handicrafts and handlooms Museum (artisanat) ou encore le National Rail Museum (chemins de fer) et la National Galerie of Modern Art. Votre curiosité pourrait même vous pousser jusqu’au très insolite Sulabh International Museum of Toilets, pour explorer l’histoire de l’hygiène et des installations sanitaires.

Vous pouvez encore visiter Rajghat, le mémorial dédié à l’une des figures emblématiques de la politique indienne, le Mahatma Gandhi.

Dans un autre registre, les nombreux centres culturels de Delhi, qui proposent expositions, concerts et spectacles, conférences, projections de films et autres événements, à l’instar de l’India Habitat Center (IHC) ou de l’India International Center (IIC), sont autant de possibilités que cette ville vous offre pour mieux l’appréhender et l’apprécier.


L’HISTOIRE DES HUIT VILLES DE DELHI

 

Première ville : Lal Kot

Première ville : Lal Kot

Première ville : Lal Kot

Mehrauli, la première ville a été édifiée, sous le nom de Lal Kot, par les Rajputs, les premiers à diriger Delhi, et plus précisément les Tomars, basés dans le sud de Delhi, à Surajkund. On estime que c’est en 1060 qu’Anangpala a fondé la citadelle fortifiée Lal Kot. Elle a ensuite été renommée Qila Rai Pithora par le second clan rajput, les Chauhans, avant d’être reprise, en 1192 par Mohammed Ghori venant d’Afghanistan, et le sultanat de Delhi, avec, tout d’abord, la dynastie des esclaves fondée par Qutubuddin Aibak, à qui succédera Iltutmish puis sa fille Razia Sultan, entre autres, jusqu’à Balban. Puis suivront les Khaljis.

 

Deuxième ville : Siri Siri

Deuxième ville : Siri

Deuxième ville : Siri 

Siri (1304) a été construite par l’un des Khaljis les plus marquants, le très guerrier Alauddin Khalji, qui réussit à repousser les violents Mongols jusqu’en Asie centrale. Certains voudraient que le nom du Siri Fort soit dérivé du mot « tête » en hindi (Sir) en raison des milliers de têtes tranchées de soldats mongols capturés qui se trouveraient dans les murs du fort.

 

Troisième ville : Tughlaqabad

Troisième ville : Tughlaqabad

Troisième ville : Tughlaqabad

Sont ensuite arrivés les Tughlaqs. La troisième ville de Delhi (1321-1323) a été édifiée par le fondateur de cette dynastie, Ghiasuddin Tughlaq, dont l’impressionnante tombe se trouve dans l’enceinte du Tughlaqabad Fort. On y retrouve l’architecture très particulière des Tughlaqs – qui bâtirent nombre de monuments dans les trois villes qu’ils édifieront – soit des bâtiments massifs sans fioritures et aux allures de forts, reflétant la menace des invasions mongoles.

 

Quatrième ville : Jahanpanah

Quatrième ville : Jahanpanah

Quatrième ville : Jahanpanah

Jahanpanah ou le « refuge du monde » est la quatrième ville de Delhi (1326-1327) et dont l’un des rares monuments conservés est la mosquée de Begumpur. Elle a été construite par Muhammad bin Tughlaq, suspecté d’être le parricide de Ghiasudddin Tughlaq et dépeint comme tyrannique et sanguinaire, mais aussi généreux avec les étrangers, par le célèbre voyageur marocain, Ibn Battuta, qui décrit, en outre, la ville comme étant « très vaste et magnifique » avec son impressionnant mur d’enceinte.

 

Ferozabad ou Feroz Shah Kotla

Ferozabad ou Feroz Shah Kotla

Cinquième ville : Ferozabad ou Feroz Shah Kotla

Ferozabad (1354) a été édifiée par le dernier grand roi de la dynastie Tuglhaq, Feroz Shah Tughlaq. Plus pacifique que ses prédécesseurs et passionné par l’architecture, il a entrepris constructions et rénovations de monuments, dont le Qutub Minar et Hauz Khas, et a fait venir deux piliers d’Ashoka, dont l’un fut placé dans sa citadelle de Feroz shah Kotla, célèbre pour abriter les fameux djinns qui inspirèrent William Dalrymple.

Sixième ville : Dinpanah

Ce n’est qu’après le raid sanglant de Tamerlan sur Delhi, suivi des deux courtes dernières dynasties du Sultanat, les Sayyids et les Lodis, et de la prise de pouvoir moghole par Babur en 1526, que le fils de ce dernier, Humayun, initia la construction de la sixième ville de Delhi, aujourd’hui connue comme le Purana Qila. Mais elle ne sera achevée que par son rival afghan, Sher Shah, après la mort duquel, Humayun reprit la ville, avant de lui-même rapidement périr dans une chute dans les escaliers de sa bibliothèque du Purana Qila.

 

Septième ville : Shajahanabad

Septième ville : Shajahanabad

Septième ville : Shajahanabad

Les deux successeurs d’Humayun, Akbar et Jahangir, avaient transféré la capitale à Agra, et c’est l’empereur Shah Jahan, dont le règne marqua l’apogée culturelle moghole, qui décida de ramener la capitale à Delhi. Ce grand bâtisseur édifia alors la septième ville de Delhi, la puissante et brillante Shahajanabad, aujourd’hui Old Delhi, comprenant notamment la Jama Masjid, le Fort Rouge (Red Fort) et Chandni Chowk.

Huitième ville : New Delhi

Une longue période de troubles s’ensuivit pour Delhi, avec les manigances du fils de Shah Jahan, le très rude et guerrier Aurangzeb, qui s’éloigna de Delhi ; le raid de Nadir Shah ; le déclin de l’Empire moghol ; l’arrivée des Britanniques et leurs violentes représailles à la Révolte des cipayes de 1857, qui laissa Shahajanabad en ruine et mit en exil le dernier empereur moghol Bahadur Shah Zafar. Ce n’est qu’en 1911, que les Britanniques décidèrent de transférer, une nouvelle fois, la capitale de Calcutta à Delhi et de créer la huitième ville de Delhi avec l’aide de l’architecte Edward Lutyens. New Delhi et ses bâtiments, faits notamment de grès rouge, dans un nouveau style architectural mêlant influences britannique, moghole et bouddhiste, entourés de larges avenues verdoyantes, furent inaugurés en 1931. Si le Delhi de Lutyens, avec notamment le Rashtrapati Bhawan (la résidence du vice-roi) et l’India Gate, devait montrer le pouvoir colonial, conformément à la légende, celui-ci subit le sort d’autres avant lui et fut défait par le mouvement d’indépendance qui aboutit en 1947. Indépendance qui s’accompagna d’un nouveau traumatisme pour Delhi et le pays, celui de la Partition. Les déplacements de populations changèrent de nouveau la face de la ville, prête, une fois encore, à renaître.

 

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